Édition du 21 mai 2002
 
  Trajectoire sociale et prévention du VIH
Une équipe du GRASP démontre l’importance du lien social dans le comportement des jeunes.

Les facteurs de risque et les caractéristiques individuelles sont souvent le point de départ des études épidémiologiques sur le VIH-sida. Des chercheurs du Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP) sortent des sentiers battus et révèlent l'importance de la trajectoire sociale dans l'exposition au VIH.

«Nous ne partions pas d'une pathologie sociale, mais de l'idée que l'exposition au VIH relève de logiques de gestion du risque. Nos résultats montrent que ce ne sont pas des traits individuels qui ressortent», observe Michel Perreault, professeur à la Faculté des sciences infirmières. En collaboration avec les agents de recherche Isabelle Billette et Paul-André Lévesque ainsi que René Bernèche, de l'UQAM, et René Lavoie, de Action séro-zéro, il a étudié la marginalité sociale et la prévention du VIH-sida chez des hommes qui ont des relations sexuelles avec d'autres hommes.

Paul-André Lévesque et Michel Perreault voulaient aller plus loin que les études antérieures, qui s'attardaient surtout à expliquer les comportements à risque par les caractéristiques individuelles et visaient plutôt les homosexuels instruits de la classe aisée. Peu d'enquêtes avaient recueilli le point de vue de jeunes francophones en situation de pauvreté et de marginalité sociale.

Gestion du risque
Pour comprendre pourquoi tant de jeunes se retrouvent à la rue, il faut étudier la rupture du lien social, pense Michel Perreault, professeur à la Faculté des sciences infirmières.

L'équipe de recherche a mis un an pour trouver 110 jeunes de 16 à 24 ans du centre-ville et du Centre-Sud de Montréal qui avaient des relations sexuelles fréquentes avec des hommes, n'avaient pas terminé leurs études secondaires et étaient sans emploi depuis deux ans. «Nous avons tenu compte de l'âge, du niveau de scolarité et du rapport avec le marché du travail», signale Paul-André Lévesque. Chacune des entrevues durait en moyenne deux heures. De 75 à 100 pages de texte ont découlé de chacun des témoignages. «Tout a été rigoureusement analysé», insiste Michel Perreault.

Des 50 entrevues menées avec ces jeunes, les chercheurs ont conservé 32 témoignages. Quelque 70 % des participants étaient bénéficiaires de prestations de sécurité du revenu au moment de l'enquête et 87,5 % d'entre eux s'étaient déjà soumis à un test de dépistage du virus.

Un peu plus de 55 % des jeunes avaient fait de la prostitution. «Toutefois, les caractéristiques individuelles et la prostitution ne jouaient pas dans l'étude. Nous regardions plutôt les intentions et les stratégies employées par rapport au risque», avance Paul-André Lévesque.

Les chercheurs ont analysé chez ces jeunes la logique de gestion du risque, la représentation du VIH et la vision de l'avenir. «La plupart des études s'orientent vers la façon d'amener les jeunes à mieux se protéger. En réalité, les jeunes connaissent la maladie et sont très conscients des risques», signale M. Lévesque. Au terme de l'examen des données, les chercheurs ont dégagé trois logiques distinctes de gestion du risque.

Des logiques différentes

Pour le premier groupe de sept jeunes, à la logique dite «confirmative» par les chercheurs, contracter le VIH-sida représente une menace et un phénomène contre-nature. Ils estiment que tout le monde peut en être atteint et imposent leur manière de voir dans leurs relations. S'ils se savent séronégatifs, ils ne veulent plus prendre de risques, sauf si leur partenaire détient la preuve qu'il est aussi séronégatif. Il y a chez eux une volonté de changer de comportement. Ils se soumettent également moins que les deux autres groupes aux tests de dépistage du virus. «Pour eux, être contaminés, c'est la fin de leur projet de vie», résume Michel Perreault.

Le deuxième groupe, de 19 jeunes, adopte une logique dite «probabiliste». Il jongle avec le risque, ayant recours au condom selon le type de relation, et il se soumet plus souvent aux tests de dépistage. Ces jeunes hiérarchisent le risque d'infection par le VIH en fonction des autres dimensions de leur vie. Par exemple, ils préfèrent prendre un risque afin de garder un partenaire qu'ils aiment ou pour lequel ils éprouvent une attirance.

Enfin, le troisième et dernier groupe, constitué de six jeunes, fait preuve d'une logique dite «aléatoire». «Ces jeunes se protègent quand leur partenaire le demande. Pour eux, contracter le VIH-sida est bien moins important que de trouver à manger», remarque Michel Perreault.

Pour ces jeunes, l'exposition au VIH constitue un danger parmi d'autres. «C'est une question relationnelle, constate Paul-André Lévesque. On a l'impression qu'ils ont peu d'autonomie dans la relation avec leur partenaire. Ils ne revendiquent pas l'usage du condom. Ils acceptent plus facilement d'être à la remorque de leur partenaire.» Dans ce contexte, ils prennent rarement l'initiative de passer un test de dépistage.

Les chercheurs ne peuvent expliquer l'appartenance à un groupe ou à un autre. «Même dans les pires conditions, certains se protègent. Pourquoi? Parce qu'ils sont conscients des risques, mais d'autres éléments entrent en jeu», souligne Michel Perreault.

Trajectoire sociale

C'est plutôt sur le plan du lien social que les jeunes pourraient se distinguer. «Ce volet est directement lié à leur capacité de se projeter dans l'avenir, soit de se réinsérer dans la société et dans des réseaux sociaux légitimés», lance Paul-André Lévesque.

Ainsi, les jeunes du premier groupe cherchent à rétablir des liens sociaux forts. Ils sont très optimistes et confiants de réaliser leurs rêves. Les jeunes à la logique probabiliste sont pour leur part très critiques envers la société de consommation. Ils aspirent plutôt à recréer des liens sociaux en marge des réseaux légitimés par la société, avec tout ce que cela suppose quant à leur précarité relationnelle. Enfin, le troisième groupe, à la logique aléatoire, n'aspire plus à réintégrer de réseau social.

Michel Perreault estime que la famille divorcée ou le centre d'accueil ne sont pas en soi des facteurs déterminants. «Il faut plutôt se pencher sur le bris du lien social. Il y a des ruptures et des moments différents dans leur cheminement. Les recherches devront aller plus loin en ce sens pour orienter la prévention vers la réinsertion sociale. Il n'est pas normal que tant de jeunes se retrouvent dans la rue», déplore-t-il.

La recherche, menée de 1997 à 1999 et subventionnée par le Conseil québécois de la recherche sociale, a déjà fait l'objet de présentations dans des colloques et devant des intervenants du Grand Montréal qui travaillent auprès des jeunes. L'équipe de travail doit déposer son rapport cet été.

Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale



 
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