Édition du 10 juin 2002
 
  Branle-bas de combat dans les bibliothèques universitaires
Les bibliothèques sonnent l’alarme et cherchent à contrer l’emprise asphyxiante des grands éditeurs commerciaux.

Entre 1990 et 1999, les budgets consacrés aux périodiques par les bibliothèques universitaires canadiennes ont presque doublé. Pourtant, leur pouvoir d’achat quant à ces publications a chuté de 42 %. La cause: le coût des périodiques, qui a plus que triplé au cours de la même période.

Malgré la réduction du nombre d’abonnements et la mise sur pied de mesures de concertation entre les bibliothèques, la situation ne s’est pas améliorée ces dernières années. «Uniquement pour affronter l’inflation, le budget des acquisitions doit être majoré de 500 000 $ par année, souligne Jean-Pierre Côté, directeur général de la Direction des bibliothèques. Une somme équivalente est nécessaire pour faire face à la dévaluation du dollar canadien par rapport au dollar américain.»

La multiplication des éditions électroniques n’a pas changé cette réalité et la situation, que certains qualifient d’état de siège, est devenue suffisamment critique pour que les responsables de bibliothèques dénoncent ouvertement les éditeurs commerciaux qui ont fait de l’édition savante une entreprise très lucrative.

«Les éditeurs commerciaux, dont l’intérêt principal est de maximiser leurs revenus par l’augmentation des prix et le contrôle de l’accès, ont fait mentir les promesses de diminution des coûts et d’élargissement de l’accès suscitées par la révolution numérique», peut-on lire dans une publication de l’Association des bibliothèques de recherche du Canada.

Les 121 bibliothèques membres de l’Association of Research Libraries (ARL), dont fait partie l’UdeM, déboursent 480 M$ US par année en abonnements aux périodiques; en 2015, ce montant atteindra près de deux milliards de dollars américains. Pendant ce temps, la marge de profit des éditeurs commerciaux de revues savantes augmente de 40 % par année, un rendement comparable aux produits de luxe comme la bijouterie.

Et ceci n’empêche pas certains éditeurs importants de chercher par tous les moyens légaux et techniques à restreindre l’accès à l’information électronique.

Vincent Castellucci, Laurent Lewis et Jean-Pierre Côté invitent les chercheurs à collaborer à la mise en place de solutions économiques à la crise des éditions savantes.
Appel aux chercheurs

Devant cet état de choses, les bibliothèques universitaires ont pris le virage de la concertation. Le Projet canadien de licences de sites nationales, par exemple, qui regroupe 64 universités et dans lequel la Fondation canadienne pour l’innovation a investi 20 M$, a permis aux bibliothèques de négocier des droits collectifs d’accès aux périodiques électroniques. «Nous avons ainsi pu réaliser des économies de 36 % par rapport aux offres que nous faisaient les éditeurs», affirme Jean-Pierre Côté.

Les chercheurs sont également invités à contribuer à la recherche de solutions. Le vice-doyen de la Faculté de médecine, Vincent Castellucci, et le directeur du Département de physique, Laurent Lewis, tous deux membres du Comité consultatif du recteur sur les bibliothèques, ont entrepris d’éveiller l’attention des chercheurs quant à ce problème pernicieux.

«Les chercheurs sont les principaux perdants d’un accès réduit aux données scientifiques, souligne Laurent Lewis. Ils ne doivent plus considérer les bibliothèques comme un simple service mais les voir comme un outil essentiel à la recherche.»

Pour Vincent Castellucci, l’accès apparemment gratuit aux éditions électroniques est porteur d’une dangereuse illusion. «On n’est pas conscient que ce qui est gratuit est en fait payé par les bibliothèques», rappelle-t-il.

Linux contre Microsoft

Comme le problème n’est pas particulier au Canada mais concerne l’ensemble des universités dans le monde, partout on se met à la recherche de solutions. Une quinzaine de chercheurs et responsables universitaires d’éditions scientifiques, réunis à Budapest en février dernier, ont adopté une déclaration de principes sur le libre accès aux données de recherche en proposant l’autoarchivage et la création de médias de remplacement.

«L’objectif est de créer des archives de prépublication en permettant à tout chercheur d’éditer en format électronique ses textes soumis à des revues scientifiques, explique Jean-Pierre Côté. Ces archives seraient accessibles à partir des bibliothèques universitaires et tous les lecteurs pourraient commenter les textes.»
La déclaration de Budapest, dont l’Université de Montréal est signataire, est en fait une prise de position en faveur de toute initiative à but non lucratif qui permettrait aux universitaires de reprendre leur place dans l’édition scientifique et d’en favoriser l’accès à peu de frais.

Certains services de ce type sont en cours d’élaboration, comme le projet SPARC (Scholarly Publishing & Academic Ressources Coalition) lancé par l’ARL. Ce projet encourage et soutient financièrement l’émergence de toute nouvelle revue imprimée ou électronique provenant des chercheurs et proposée comme solution de rechange aux publications coûteuses de grands éditeurs (www.arl.org/sparc).

«La stratégie se compare à celle de Linux face à Microsoft», lance le vice-doyen Castellucci. En attendant que de tels projets renversent la vapeur, l’Association des bibliothèques de recherche du Canada va jusqu’à suggérer le boycottage des comités de lecture de périodiques coûteux et invite même à annuler les abonnements à ces périodiques.

Daniel Baril




 
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