Édition du 10 juin 2002
 
  Le prix d’une vie
L’économiste Fernand Martin étudie la valeur économique de la vie humaine.

Combien vaut un être humain? Cela peut varier de 30 000 $ pour un vieillard inactif à 15 M$ pour un chef d’entreprise et père de famille. Avec un bon avocat, cette valeur peut atteindre 50 M$! La vie humaine a donc un prix.

«Même si l’idée d’attribuer une valeur économique à la vie humaine peut paraître inacceptable d’un point de vue moral, cela se fait quotidiennement dans l’élaboration de politiques de santé, de population et de transport», affirme Fernand Martin, professeur au Département d’économie depuis 1962.

Selon Fernand Martin, l'évaluation du prix de la vie humaine est une composante essentielle du calcul de la rentabilité économique des investissements publics.

Économiste reconnu pour ses études sur la fusion des municipalités et le développement économique de la Rive-Sud, M. Martin s’est intéressé, à la demande du ministère des Transports, aux méthodes employées pour justifier la réfection de routes où se produisent des accidents graves. Comme ces coûts dépendent des vies humaines perdues et des blessures, il faut forcément connaître la valeur économique de la vie. Chaque décès, chaque blessure a un coût. Transports Canada utilise, à partir d’études avantages-coûts, les valeurs suivantes: 2,5 M$ pour un décès, 66 000 $ pour une blessure grave et 25 000 $ pour une blessure légère.

«Mais est-ce rentable d’effectuer des travaux qui coûtent à la société des millions de dollars et qui permettent d’épargner seulement une ou deux vies par année? s’interroge le chercheur. Cela dépend de la valeur économique des individus qu’on peut potentiellement sauver.» Certaines personnes contribuent au progrès ou à la croissance économique en laissant un héritage, explique-t-il. «Il s’agit notamment d’entrepreneurs, de savants et d’artistes exceptionnels dont les biens devenus publics constituent des legs pour la société, par exemple les droits d’auteur ou les retombées financières des innovations.»

La valeur économique d’un citoyen ordinaire est cependant nulle comparativement à celle d’un Mozart ou d’un Einstein, dont les œuvres et le travail ont des impacts significatifs après leur mort. «Cela ne signifie pas qu’on doit se montrer insensible quand une personne anonyme se fait écraser par un chauffard, allègue M. Martin. Mais du point de vue économique, ce n’est pas vrai que tous sont égaux.»

Critiques sur les méthodes d’évaluation

À son avis, toute chose a un prix à payer. Cela vaut tant pour les biens et services que pour la vie humaine. Toutefois, la disposition à payer s’exprime toujours sous une contrainte budgétaire. Dans les domaines de la sécurité routière et de la santé, il y a des répercussions sociales notables. Le professeur Martin cite en exemple un système de soins de santé rationnés comme au Canada et en Grande-Bretagne, où des médecins refusent de soigner les fumeurs. «Bientôt, souligne-t-il, on pourrait même cesser d’offrir des soins aux obèses et à toutes les personnes qui ne prennent pas en considération les conséquences de leurs actions.»

Mais comment évalue-t-on le prix d’une vie humaine? Deux méthodes se distinguent: celle dite du «capital humain» et celle basée sur la «disposition à payer» pour éviter les dommages, répond l’économiste. «La première méthode consiste à estimer les dommages en fonction de leur incidence économique, c’est-à-dire d’après les pertes de production, les coûts des soins de santé et les coûts matériels. L’inconvénient, c’est qu’on ne mesure pas exactement ce qu’on recherche, à savoir la valeur intrinsèque du dommage lorsqu’il y a un décès ou des souffrances liées à des blessures graves.»

C’est à partir du constat de cette carence qu’est apparue la méthode du consentement à payer. Cette approche tente d’évaluer la valeur que les individus attribuent à la vie humaine à partir d’enquêtes où l’on cherche à cerner les sommes d’argent que les gens seraient prêts à payer pour réduire le risque de perdre la vie. À partir d’échantillons de la population, on conçoit des questionnaires qui présentent des situations où l’individu a le choix entre dépenser une certaine somme d’argent ou courir un risque précis. Une telle méthode, basée sur les préférences, fournit cependant une évaluation imprécise.

«La variabilité du prix d’une vie humaine a discrédité ces méthodes et rend, pour le moment, les économistes incapables de fournir des valeurs fiables», admet Fernand Martin, qui poursuit ses recherches sur le sujet (www.fas.umontreal.ca/sceco/dept/profs/marf.html).

Dominique Nancy



 
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