Édition du 26 août 2002 / volume 37, numéro 1
 
  Percée majeure en transplantation d’organes congelés
Une équipe parvient à greffer des ovaires congelés sur des rates.

En plus de retarder la ménopause, la greffe d’ovaires congelés mise au point par le Dr Hui Fang Chen et ses collaborateurs permettrait aux jeunes femmes qui doivent subir des traitements de chimiothérapie d’éviter la stérilité. 

Des femmes de carrière désireuses de remettre leurs grossesses à plus tard pourraient bientôt avoir la possibilité de prolonger leur période de fertilité. Comment? En faisant congeler un de leurs ovaires qui serait réimplanté au moment voulu.

Jusqu’à tout récemment, on ne pouvait envisager de préserver un organe en dehors du corps humain plus de quelques heures. La congélation, croyait-on, endommageait trop les structures et les tissus. Mais une équipe de l’hôpital Notre-Dame dirigée par le Dr Hui Fang Chen, chercheur au Département de chirurgie de la Faculté de médecine, vient de changer la donne.

Les chercheurs montréalais, en collaboration avec les équipes du Dr Roger G. Gosden, de l’Université McGill, et du Dr S. Samuel Kim, de l’Université de Washington, ont publié dans Nature, en janvier 2002, les résultats d’une étude sans précédent. Grâce à la cryogénie, ils ont pu arrêter l’impitoyable horloge du temps. Dans leur laboratoire de chirurgie expérimentale, ils ont prélevé les ovaires droits de sept rates, les ont conservés dans l’azote liquide à -196 ºC et les ont transplantés chez sept rates génétiquement identiques aux premières afin d’éviter les risques de rejet.

Quatre des rates opérées ont réussi à sécréter des hormones et à produire des ovules. Une rate est tombée enceinte. Ces résultats laissent entrevoir de nombreuses possibilités chez les humains. En plus de retarder la ménopause, la nouvelle technologie permettrait aux jeunes femmes qui doivent subir des traitements de chimiothérapie d’éviter les problèmes de stérilité associés à ces traitements.

La fin des pénuries d’organes?

La greffe d’ovaires n’est pas la principale application qui intéresse le Dr Chen. Avant tout, l’équipe de l’hôpital Notre-Dame espère mettre un baume sur la plaie de la pénurie d’organes. Au Québec seulement, 936 patients étaient en attente d’organes à la fin de l’année 2001.

Après le faible taux de dons, la courte période de conservation des organes à l’extérieur du corps humain est le principal facteur responsable de la pénurie. Avec les techniques de préservation actuelles, qui consistent à conserver l’organe à 4 ºC dans une solution physiologique, on arrive à garder un cœur et des poumons à peine quatre heures. Le foie et le pancréas offrent de meilleures possibilités et peuvent se garder jusqu’à 20 heures. Le rein, l’organe le plus résistant, peut survivre 30 heures.

Beaucoup de précieux organes sont perdus en raison d’une mauvaise préservation. «En Europe, un cinquième des foies humains recueillis se dégradent avant qu’on ait pu les transplanter», affirme le Dr Chen. En outre, il s’avère parfois difficile de trouver un receveur compatible avec le donneur dans un périmètre rapproché. En effet, lorsqu’on prélève un organe, on tente toujours de désigner le receveur pour lequel la compatibilité physiologique est la plus grande. Cependant, si ce receveur se trouve à l’autre bout du pays, on ne peut envisager d’expédier l’organe. Ce dernier deviendrait inutilisable avant d’arriver à destination. On choisira donc un receveur pour lequel les risques de rejet sont plus élevés, mais qui se trouve dans une zone géographique rapprochée.

Avec les techniques de cryogénie, le Dr Chen espère pouvoir préserver les organes indéfiniment. «L’idéal serait de mettre sur pied une banque d’organes, avance le chercheur. Les cœurs, poumons, reins, foies et pancréas y seraient entreposés jusqu’à ce qu’un receveur compatible se manifeste.»

Déjà, il existe des banques de tissus pour les grands brûlés. Mais la préservation d’organes entiers est beaucoup plus compliquée que celle de simples tissus. «Plus l’organe est complexe et renferme de cavités, plus la procédure est délicate, explique Minh Diem Vu, étudiante au doctorat avec le Dr Chen. Les phases de gel et de dégel sont particulièrement hasardeuses. Il faut à tout prix éviter la formation de cristaux de glace, qui risquent de causer des dommages.»

Congelez lentement, SVP!

Pour éviter la formation de cristaux, le Dr Chen a mis au point une technique qui permet d’abaisser lentement la température de l’organe, jusqu’à des niveaux où toutes les réactions métaboliques et moléculaires sont stoppées. «L’organe est vitrifié, affirme le chercheur. Il devient un solide dans le sens qu’on ne peut le déformer, mais on n’y retrouve pas de formes cristallines, caractéristiques des corps solides. La vitrification permet de réduire les déchirures et autres dommages mécaniques.»

Après son succès avec les ovaires, l’équipe du Dr Chen va maintenant s’attaquer à un organe beaucoup plus complexe: le rein. Si leurs essais sur les rongeurs sont concluants, ils les étendront aux grands animaux comme le singe ou le porc. Les essais cliniques viendront ensuite.

Formé à Shanghai, le professeur Chen dirige aujourd’hui l’un des deux seuls laboratoires de microchirurgie expérimentale du Canada. Il aime bien établir des parallèles entre de vieilles légendes chinoises et la médecine moderne. «Il y a des milliers d’années, les Chinois croyaient que l’échange de cœurs entre deux individus pourrait rééquilibrer les forces intérieures de chacun, selon les principes du yin et du yang. Mais on n’aurait jamais cru que la transplantation d’organes serait un jour possible. Aujourd’hui, on envisage de conserver des organes à basse température et de prolonger leur durée de vie. Qui sait ce que demain nous réserve?»

Dominique Forget



 
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