Édition du 3 septembre 2002 / Volume 37, numéro 2
 
  Biologie de la musique
L’être humain est doté d’habiletés promusicales indépendantes de la culture.

 

Les travaux de doctorat de Simoné Dalla Bella montrent que la capacité de percevoir des émotions associées au tempo de la musique est en place dès l’âge de cinq ans.

Dès cinq ans, l’enfant perçoit les émotions suscitées par le tempo de la musique et tout adulte peut discerner la dissonance entre des styles musicaux qu’il ne connaît pas.

Ces observations rapportées par Simoné Dalla Bella dans ses études de doctorat en neuropsychologie expérimentale l’amènent à soutenir que l’être humain possède des capacités de compréhension de la musique relevant de la biologie plutôt que du seul apprentissage, comme on l’a longtemps cru.

«Ce n’est que depuis une dizaine d’années que l’on commence à penser que la musique n’est pas uniquement culturelle, souligne-t-il. Nous avons maintenant des outils d’observation qui nous permettent de vérifier expérimentalement l’hypothèse de ses fondements biologiques.»

Selon le chercheur, les adultes sont cohérents dans l’attribution d’émotions telles la gaieté ou la tristesse à diverses pièces musicales. Ces émotions sont engendrées par le tempo (vitesse mesurée par le nombre de battements par minute) et par le mode (distribution des intervalles entre les notes). Un tempo rapide est invariablement associé à la joie et un tempo lent à la peine; de même, un mode majeur est associé à la gaieté et un mode mineur à la tristesse. Quand on modifie le tempo ou le mode, l’émotion créée change.

Les enfants aussi

Simoné Dalla Bella s’est dit que, s’il existe des mécanismes perceptuels propres à la musique, ils devraient être observables bien avant l’âge adulte. Ses travaux, dirigés par Isabelle Peretz, du Département de psychologie, ont montré que ces mécanismes semblent se mettre en place entre cinq et six ans.

Avant cinq ans, les enfants ne parviennent pas à cerner correctement les émotions de la musique lorsqu’une pièce est jouée selon les modes et les tempos appropriés. Les variations dans ces mesures ne les aident pas plus à établir d’associations.

À cinq ans, les enfants font le même lien que les adultes entre la vitesse du tempo et la gaieté ou la tristesse selon le cas. Par contre, l’enfant ne parvient pas à percevoir des émotions différenciées si l’on modifie seulement le mode. «Ceci nous montre que le tempo est déterminant dans les émotions ressenties», souligne le chercheur.

À six ans, les enfants distinguent à la fois l’effet du tempo et celui du mode de la même façon que les adultes.

«Le fait que le jugement des enfants sur la perception de la gaieté ou de la tristesse d’une musique est influencé par le tempo et par le mode va dans le sens de l’hypothèse d’une base biologique à la source de cette perception», affirme Simoné Dalla Bella.

Dans toutes les cultures

Le chercheur a voulu tester l’hypothèse des fondements biologiques sous une autre approche: s’il existe des mécanismes cognitifs de l’expérience musicale, ils devraient être indépendants de la culture et de l’apprentissage. Ce qui est perçu comme dissonant dans une culture par exemple devrait également l’être par des auditeurs d’une culture étrangère ou par des auditeurs sans formation musicale particulière.

Simoné Dalla Bella a demandé à trois groupes de sujets — musiciens professionnels occidentaux, non-musiciens occidentaux et non-musiciens chinois établis ici depuis moins de un an — d’évaluer la dissonance entre les styles baroque, classique, romantique et postromantique.

«Les musiciens se sont montrés plus sensibles aux différences de style, mais les non-musiciens ont eux aussi discerné les styles en fonction de la dissonance des uns par rapport aux autres», indique Simoné Dalla Bella.

Plus les styles sont éloignés dans le temps, plus les sujets perçoivent la dissonance. Si les Occidentaux ont réussi la tâche mieux que les Chinois, ces derniers ont toutefois distingué la dissonance entre ces styles musicaux qui leur étaient étrangers.

L’expérience montre que l’apprentissage a un effet sur ce genre de distinction, mais surtout que l’être humain serait biologiquement constitué pour percevoir une structure dans la musique quelle que soit son expression culturelle.

Mais pourquoi aurions-nous hérité d’un tel mécanisme? Pour le chercheur, la fonction primordiale de ce mécanisme pourrait être de doter l’être humain du sens du rythme. «Dans toutes les sociétés, la coordination des activités de groupe se fait par des stimulus sonores rythmés, souligne-t-il. Le rythme semble donc favoriser la cohésion du groupe.»

Un fait d’ailleurs observable dans le rituel tant religieux que guerrier ou sportif.


Daniel Baril


Les émotions de la musique

Pour expérimenter l’effet de la musique sur les émotions, consultez le site du Laboratoire de neuropsychologie de la musique (www.fas.umontreal.ca.psy, bouton «Laboratoires et groupes de recherche»). Différents extraits musicaux sont joués selon des modes ou des tempos modifiés, ou encore de façon dissonante, afin de provoquer des sensations diverses.






 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications et du recrutement