Édition du 9 septembre 2002 / Volume 37, numéro 3
 
  La révolution culturelle chinoise
Les bouleversements en Chine ont influencé certains journalistes québécois.

 

«Les médias constituent une réserve incroyable de sujets. En analysant et en regroupant certains thèmes, on apprend beaucoup sur la société », constate Daniel Desharnais.

La Chine a contribué à l’effervescence qu’a connue le Québec à la fin des années 60 et au début des années 70. Telle est la thèse que soutient Daniel Desharnais dans son mémoire de maîtrise. L’historien a épluché les quotidiens La Presse et Le Devoir des années 1966 à 1976.

C’est au cours de ses études de baccalauréat en histoire que le jeune homme de 28 ans a eu l’idée de tracer un parallèle entre les périodes charnières du Québec et de la Chine sous l’angle du journalisme.

La recherche de ce passionné d’histoire chinoise s’appuie sur l’image de ce pays d’Asie véhiculée par les journalistes des deux quotidiens. «La perception constitue l’essence même de mon mémoire. Il s’agissait de voir la Chine comme un choix idéologique dans le Québec de l’époque», explique-t-il.

Il estime que le mouvement en Chine a relancé la gauche révolutionnaire à l’échelle planétaire. «Elle s’est alors véritablement démarquée. C’est à ce moment qu’émerge une voie chinoise du communisme et du maoïsme. Le FLQ comptait d’ailleurs des maoïstes parmi ses membres», indique l’étudiant.

En 1966, des étudiants chinois ont été envoyés dans les campagnes afin de renouer avec l’essence même de la doctrine de Mao Zedong. Lancé par le leader lui-même, le mouvement a rapidement pris de l’ampleur. Mao a alors voulu le juguler en accordant plus de pouvoirs aux Gardes rouges, un groupe d’étudiants qui défendaient l’idéologie de leur chef. Les actes de pillage et les grèves à répétition ont incité l’armée chinoise, qui était restée à l’écart, à s’opposer aux Gardes rouges.

En Lutte! et La Forge

La Révolution culturelle a donné naissance aux revues canadiennes En lutte! et La Forge, publiées en anglais et en français. Ces regroupements comptaient chacun près de 700 membres. «Ils étaient marginaux, mais ces publications trouvaient, dans la base maoïste, la possibilité d’englober plusieurs courants, comme la protection de l’environnement et le féminisme. Elles cherchaient ainsi à s’approprier le plus grand nombre de combats pour mener l’offensive révolutionnaire», signale l’historien. En lutte! et La Forge ont disparu après la mort de Mao, en 1976, et la restructuration de la Chine qui a suivi.

Daniel Desharnais situe l’influence du bouleversement chinois dans l’évolution du Québec. «Les journalistes et éditorialistes du Devoir et de La Presse n’avaient pas nécessairement des vues communistes ou maoïstes, mais plutôt progressistes. Les événements survenus en Chine ont éveillé leur fibre de gauche.» Ils stimuleront, par exemple, les convictions nationalistes de l’éditorialiste du Devoir Jean-Marc Léger, croit l’étudiant. Celui-ci est aussi d’avis que Pierre O’Neill, de La Presse, et Claude Lemelin, du Devoir, ont à cette époque lancé l’idée de l’interventionnisme de l’État.

L’historien se défend bien de donner trop d’importance au courant de l’État-providence dans le paysage québécois entre 1966 et 1976. «Cette tendance était déjà généralisée dans d’autres provinces canadiennes. En fait, elle avait pris naissance aux États-Unis, à la suite de la crise économique des années 30. Le New Deal, du président Franklin Delano Roosevelt, visait l’adoption de programmes sociaux en vue de stabiliser l’économie et de stimuler la consommation.»

Daniel Desharnais n’est pas allé jusqu’à sonder la psychologie profonde des éditorialistes et des journalistes de cette période. Mais il a constaté un écart entre les deux journaux, qui s’est peu à peu réduit. L’historien considère que, dans sa vision de la Chine, La Presse a d’abord été centrée sur l’idéologie néolibérale, sans être nécessairement à droite. Le quotidien dénonçait cependant les violences au pays de Mao et la violation des libertés individuelles. Il jugeait également la Chine trop belliqueuse sur le plan des relations internationales.

 Daniel Desharnais estime par ailleurs que Jean-Marc Léger, du Devoir, voyait la Révolution culturelle comme un mouvement original à portée historique. «Mais à mesure qu’on avance dans la période 1966-1976, les visions des deux quotidiens s’entrecroisent. Les écrits utilisaient indirectement la Chine pour véhiculer une idée», observe-t-il.

Toutefois les opinions des éditorialistes sont parfois contradictoires, voire paradoxales, note l’étudiant. «Le maoïsme et le communisme en Chine ont permis au pays de se développer; mais ils ont aussi pu constituer un frein à son évolution parce que le dogmatisme du maoïsme et l’endoctrinement idéologique ont fait en sorte que les nouvelles idées soient contestées.»

Parmi les valeurs qu’avançaient les journalistes des deux quotidiens dans la construction d’un Québec moderne, Daniel Desharnais signale l’étatisation, le néolibéralisme et l’idée que le développement social découle de l’acquisition de richesses.

L’historien considère que, près de 40 ans après la Révolution culturelle, il serait présomptueux de croire que la modernisation de la Chine se fera par la voie économique. «Il est évident que le commerce accentue l’ouverture de la Chine au reste du monde. Mais je ne suis pas convaincu que les dirigeants chinois sont prêts à démanteler le régime comme ce fut le cas dans l’ancienne URSS. Ils s’attachent plutôt à résoudre les problèmes administratifs.»

Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale



 
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