Édition du 16 septembre 2002 / volume 37, numéro 4
 
  Un enfant sur 100 naît sans corps calleux
Mais cette absence a peu de conséquences sur le développement cognitif, selon Maryse Lassonde.

 

Ces récentes découvertes sur le corps calleux ont amené Maryse Lassonde à faire de l’épilepsie infantile une de ses priorités de recherche. 

Internationalement reconnue pour ses recherches sur la réorganisation cérébrale, Maryse Lassonde scrute notre cerveau sous toutes ses coutures depuis plus de 20 ans. Aujourd’hui titulaire d’une nouvelle chaire de recherche du Canada en neuropsychologie développementale, la chercheuse a plus que jamais le vent dans les voiles: les 430 000 $ que la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) verse cette année à la chaire donnent un nouveau souffle à ses travaux. «C’est quasiment comme commencer une nouvelle carrière!» lance-t-elle.

Au cœur de ses recherches: le corps calleux, la plus grosse structure de fibres du cerveau. Il s’agit d’un câblage de quelque 800 millions d’axones qui sert de courroie de transmission entre les deux hémisphères cérébraux. «Chaque hémisphère a sa spécialité: on sait par exemple que la parole et la phonologie sont liées à l’hémisphère gauche, et que l’hémisphère droit est le siège de la vision, explique Maryse Lassonde. Mais les deux hémisphères ne fonctionnent pas indépendamment l’un de l’autre: un lien de communication entre eux est nécessaire afin de pouvoir appréhender le monde de manière globale.»

Espoir

Oui mais voilà, on peut naître sans corps calleux. Les cas d’«agénésie calleuse» congénitale sont même assez répandus: ils concernent en moyenne 1 enfant sur 100. Au Québec, la région du Saguenay est particulièrement touchée. Une maladie aux conséquences dévastatrices? Pas du tout: Maryse Lassonde et son équipe ont démontré que l’absence de corps calleux à la naissance n’entraîne aucune déficience cognitive majeure, mais un simple ralentissement psychomoteur. Une nouvelle preuve de la plasticité neurale, cette étonnante faculté que la neuropsychologue avait déjà mise en évidence dans ses travaux sur les aveugles: le cerveau d’une personne qui grandit avec un handicap majeur, comme la cécité ou l’absence de corps calleux, est capable de se réorganiser pour tenter de compenser le déficit.

Cette découverte sur l’agénésie calleuse va plus loin. Elle offre un formidable espoir à de nombreux parents. «Avec l’échographie prénatale, on peut diagnostiquer très tôt l’agénésie calleuse du fœtus, constate Mme Lassonde. Depuis que je travaille à la question, je reçois de nombreux messages de femmes me demandant si elles devraient interrompre leur grossesse pour cette raison. Récemment, j’ai reçu la photographie d’un jeune enfant en pleine santé: il souffre d’agénésie calleuse, ses parents avaient communiqué avec moi pour me demander mon avis sur un éventuel avortement. Je suis heureuse qu’ils aient suivi mon conseil!»

L’épilepsie infantile

Si l’absence de corps calleux à la naissance n’entraîne aucune déficience cognitive chez l’enfant, il en va tout autrement si cette partie du cerveau est sectionnée à l’âge adulte. «Un adulte qui a subi une section du corps calleux est victime d’une totale déconnexion entre ses deux hémisphères: sa main droite ignore littéralement ce que fait sa main gauche», note la chercheuse. Or, l’ablation du corps calleux est un des traitements préconisés en cas d’épilepsie, ce dérèglement de l’activité électrique du cerveau. L’objectif de l’intervention est d’éviter la propagation de l’épilepsie d’un hémisphère cérébral à l’autre.

Mais que se passe-t-il si l’on sectionne le corps calleux d’un enfant épileptique? Pour répondre à cette question, Maryse Lassonde a comparé les capacités d’enfants ayant reçu une section thérapeutique du corps calleux et celles d’enfants nés avec une agénésie calleuse. Résultat: les deux groupes manifestent des formes analogues de réorganisation cérébrale si la lésion est survenue avant l’adolescence. «Cela prouve que la puberté est une période charnière dans le développement du cerveau», explique Maryse Lassonde.

Ces résultats l’ont conduite à pousser plus loin ses recherches sur l’épilepsie. Avec des collègues français, elle a publié l’an passé un ouvrage qui dresse le profil cognitif des différentes formes de cette maladie. Une première mondiale. «Avant, tout le monde pensait qu’il n’existait qu’un seul type d’épilepsie, mais ce n’est pas le cas. Par exemple, l’épilepsie temporale entraîne des perturbations sur le plan de la lecture, alors que l’épilepsie frontale engendre des problèmes de comportement. Une fois que l’on connaîtra bien les profils cognitifs des différents types d’épilepsie, on pourra mettre sur pied des approches de rééducation mieux adaptées», explique-t-elle.

L’épilepsie infantile, qui constituait au départ une extension de ses travaux sur le corps calleux, est devenue pour Maryse Lassonde un champ de recherche prioritaire. Et la nouvelle chaire de recherche devrait lui permettre de faire avancer ses travaux à pas de géant. Elle a déjà acquis plusieurs appareils sophistiqués, comme un bonnet d’enfant muni de 128 électrodes qui mesurent l’activité cérébrale du bambin. «Durant mon année sabbatique, je suis allée apprendre comment fonctionnaient les instruments de recherche les plus perfectionnés dans des universités comme Harvard ou Oxford. Grâce à la chaire, on aura ces instruments ici, à Montréal!» conclut-elle.

Anne Fleischman
Collaboration spéciale




 
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