Édition du 23 septembre 2002 / Volume 37, numéro 5
 
  Les catastrophes rendent plus altruiste
La criminalité en Montérégie durant la tempête de pluie verglaçante de janvier 1998 a été moins élevée que ce à quoi on s’attendait.

 

Selon ce qu’a observé Frédéric Lemieux, l’effet altruiste des catastrophes ne se fait pas sentir uniquement chez les populations sinistrées mais également dans les zones limitrophes de la région touchée. 

Les catastrophes naturelles auraient pour effet de faire baisser la criminalité en suscitant, chez les gens éprouvés et chez ceux qui se sentent affectés par ces drames, des comportements altruistes et un besoin de cohésion sociale. C’est ce que confirment les recherches de Frédéric Lemieux, professeur à l’École de criminologie.

«L’hypothèse d’une baisse de la criminalité associée aux désastres n’avait jusqu’ici jamais fait l’objet d’une analyse systématique», souligne-t-il. Cette relation n’est pas évidente en soi puisque les catastrophes, particulièrement les pannes d’électricité, créent généralement des conditions propices aux délits, comme on l’a noté pendant la panne majeure qui a touché New York en 1977.


Frédéric Lemieux a voulu clarifie la question en analysant au jour le jour l’écart entre la criminalité observée et la criminalité attendue dans deux régions touchées par la tempête de verglas de janvier 1998, soit Montréal et la Montérégie. Les résultats de cette étude, qui constitue sa thèse de doctorat, vont globalement dans le sens de l’hypothèse altruiste, mais montrent des variations notables selon les conditions particulières des régions étudiées.

Effet des forces policières

L’un des aspects inédits de cette recherche est d’avoir d’abord pris en considération l’effet sur la criminalité d’une présence policière accrue.

 «Du 5 au 18 janvier, il y a eu jusqu’à 1750 policiers et 3000 soldats en fonction par jour à Montréal alors que normalement 300 policiers sont en service, précise le professeur. Cette présence a eu un effet direct et immédiat sur les crimes contre la personne et les crimes contre les biens, qui ont diminué jusqu’à 35 %.»
Par contre, l’augmentation des forces de l’ordre permet aussi de rapporter un plus grand nombre de délits. «Il y a effectivement eu augmentation des crimes autres que ceux contre la personne et contre les biens, soit les délits qui nécessitent un plus grand effort d’observation, comme les manquements et le défaut de se rapporter. Les barrages policiers et les vérifications d’identité ont probablement contribué à cette détection plus élevée qu’en temps normal», estime Frédéric Lemieux.

L’effet policier a cependant été beaucoup plus faible en Montérégie en raison de l’étendue du territoire et du retard à mettre en place l’infrastructure d’opération policière. S’il y avait 10 gardiens de la paix au kilomètre carré à Montréal, où les opérations policières sont déjà centralisées, on n’en comptait que un en Montérégie. Dans les premiers jours de la tempête, alors que les gens n’avaient pas d’idée de l’ampleur qu’allait prendre le désastre, il y a eu une augmentation significative des crimes contre les biens allant jusqu’à 90 % dans certains cas. L’occasion a donc fait le larron.

Le faible effet de la présence policière et militaire en Montérégie s’observe par une offre des crimes contre la propriété en lien avec le déplacement de la population vers les centres d’hébergement. «Lorsque les gens sont dans les centres, le nombre de vols dans les maisons s’accroît. Autrement dit, s’il existe un effet policier, il n’apparaît que lorsque les gens sont chez eux pour surveiller leurs biens!»

En neutralisant l’effet des forces policières et du déplacement des populations, Frédéric Lemieux a pu remarquer l’influence des pannes elles-mêmes sur la criminalité. En Montérégie, la corrélation entre les fluctuations des pannes et le niveau de la criminalité est très forte.

«Les crimes contre les biens augmentent de 19 % dans le «triangle noir» par rapport au reste de la Montérégie lorsque Hydro-Québec annonce que la crise dans cette zone va durer au moins un mois et que le degré de frustration est très élevé», souligne-t-il. Par ailleurs, la courbe décroît au fur et à mesure que les gens sont rebranchés.

Comportements altruistes à la hausse

Malgré une augmentation du taux de la criminalité en Montérégie et même si la baisse de la criminalité à Montréal est attribuable à la présence policière, Frédéric Lemieux estime tout de même que la catastrophe a suscité une hausse observable des comportements altruistes puisque l’accroissement de la criminalité aurait dû être plus fort en Montérégie que ce qu’il a été.

La différence serait explicable par l’effet philanthropique: «En criminologie, on reconnaît que, plus le nombre de dons est élevé au sein d’une communauté, plus le taux de crimes sera bas dans cette même communauté», soutient le professeur.

Ce phénomène a été confirmé dans les régions périphériques à la zone sinistrée. En Estrie par exemple, les dons en espèces faits au Fonds des sinistrés de la Croix-Rouge ont augmenté de 40 % par rapport à ce qui était attendu et la criminalité a diminué de 14 %. En Abitibi, les dons ont diminué de 28 % alors que la criminalité a augmenté de 7 %.

Ces deux exemples confirment un autre élément de la théorie selon laquelle l’altruisme lié aux catastrophes diminue avec l’éloignement géographique ou sociologique. C’est en effet dans les secteurs entourant la Montérégie que les dons ont été les plus élevés alors qu’ils ont été les plus bas dans les régions les plus éloignées.

À Montréal et en Montérégie, la corrélation entre dons et criminalité ne va toutefois pas dans le sens de l’hypothèse altruiste. En Montérégie, les dons à la Croix-Rouge ont diminué de 23 % et augmenté de 20 % à Montréal, toujours par rapport à ce qui était attendu. Par contre, l’augmentation du taux de la criminalité en général a été la même dans les deux régions, soit d’environ 2,4 % pour la durée de la crise.

«En comparant ces deux régions avec le reste du Québec et en combinant l’effet policier avec l’effet des dons, la criminalité aurait dû diminuer à Montréal alors qu’en Montérégie elle aurait dû être de trois à quatre fois plus élevée que ce qui a été observé», affirme M. Lemieux.

Pour la Montérégie, la différence est attribuable, à son avis, aux comportements altruistes comme le bénévolat, l’accueil de sinistrés et les diverses activités d’entraide qui ont pu avoir cours pendant plus de un mois. À Montréal, où les pannes n’ont duré que de quelques heures à quelques jours, l’effet altruiste n’aurait pas eu le temps de faire diminuer la criminalité.

L’effet altruiste est aussi observable à l’aide d’un autre indicateur, soit la diminution de la consommation d’électricité consentie par les non-sinistrés en réponse aux appels lancés en ce sens par le gouvernement. Ce facteur est également lié à une baisse de la criminalité: plus une région a réduit sa consommation, moins la criminalité a été élevée. Et c’est de nouveau dans les zones périphériques aux régions sinistrées que le déclin a été le plus fort.

Daniel Baril



 
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