Édition du 30 septembre 2002 / volume 37, numéro 6
 
  La tradition partisane explique la victoire libérale de 2000
Mais la faible participation a constitué un record de tous les temps.

 

André Blais, professeur au Département de science politique. 

«Au Canada, le Parti libéral (PLC) domine; il est plus ou moins le parti naturel au gouvernement. Les libéraux ont cet atout, qu’ils entretiennent; ils l’ont créé au cours des années depuis la Confédération. La tâche devient très difficile pour les autres formations politiques.»

C’est ce que soutient André Blais, professeur au Département de science politique; il a dirigé l’équipe de chercheurs de la dernière étude électorale canadienne sur l’élection du 27 novembre 2000. Cette quatrième analyse a été publiée récemment sous le titre Anatomy of a Liberal Victory: Making Sense of the Vote in the 2000 Canadian Election.

Performance des partis

L’étude démontre que les libéraux ont été les plus forts au fil d’arrivée, quoiqu’ils aient perdu un peu de terrain au cours de la campagne électorale. «C’est d’habitude le lot du parti en avance, un phénomène assez répandu, observé aussi aux États-Unis et en France», souligne le chercheur. Il se défend bien toutefois de lier ce léger recul à la performance de Jean Chrétien, y voyant plutôt un facteur situationnel.

M. Blais relève qu’entre l’élection de 1997 et celle de 2000 le PLC jouissait d’une très confortable avance de 20 à 30 points quant aux intentions de vote par rapport aux autres partis. «Le Parti libéral a obtenu plus de votes que toute autre formation dans 14 des 18 élections canadiennes tenues depuis 1945, note-t-il. Le parti politique part avec une longueur d’avance, mais cela ne veut pas dire qu’il gagne toujours. D’autres enjeux, en particulier les leaders, ont joué contre lui en 1984 et en 1988, alors que les conservateurs l’ont emporté.»

Chez les conservateurs, la prestation du chef Joe Clark au cours du débat télévisé a fait gagner des points à sa formation politique. M. Blais observe par contre que les données de l’étude ont démontré qu’en 2000 une majorité d’électeurs conservateurs a penché pour les libéraux plutôt que pour le Parti réformiste, devenu depuis l’Alliance canadienne. C’est pourquoi la performance de M. Clark ne s’est pas reflétée dans l’issue du vote. Le Parti conservateur a vu son nombre de députés passer de 20 en 1997 à 12 en 2000.

Du côté des réformistes, le chercheur qualifie la campagne de très difficile. Il refuse néanmoins de jeter le blâme sur Stockwell Day. «Il n’est pas du tout clair qu’il faille attribuer la performance de la formation politique à l’action de M. Day. Il a été plus populaire que son prédécesseur, Preston Manning, mais il suscitait des positions plus polarisées.» De plus, Stockwell Day n’a pas réussi à rallier les votes escomptés en Ontario.

Comportement des électeurs

Le Bloc québécois a perdu du terrain au Québec en 2000 en recueillant 39,9 % des voix contre 44,2 % pour les libéraux. Gilles Duceppe a cependant été plus populaire que Jean Chrétien. «Au Québec, l’impact des chefs revêt moins d’importance, car le vote est beaucoup plus concentré sur la question nationale», souligne le professeur.

Enfin, André Blais remarque que le Nouveau Parti démocratique a confirmé sa présence dans les Maritimes, mais la situation pourrait changer avec la démission d’Alexa McDonough.

De 20 à 25 % des Canadiens changent d’opinion entre le déclenchement des élections et le jour du vote. À court terme, leurs motivations sont plus orientées vers le chef en fonction de leurs valeurs personnelles et de leur conception générale de la société, ajoute André Blais. Au Canada anglais en particulier, les électeurs remplissent leur bulletin de vote conformément à leur vision économique et sociale. «Au Canada anglais, si vous êtes francophone, la probabilité que vous votiez libéral est très élevée, de même que si vous êtes immigrant ou irlandais catholique. Au Québec, un électeur non francophone ou un nouvel arrivant auront aussi davantage tendance à voter pour les libéraux.»

Très faible taux de participation

La faible participation des électeurs a constitué un facteur majeur des élections fédérales de 2000. Seulement 61,2 % des Canadiens se sont rendus aux urnes. «Nous avons battu tous les records!» lance le chercheur.

M. Blais attribue cette baisse à l’augmentation du nombre de jeunes, même si plusieurs d’entre eux ne figuraient pas sur les listes électorales.

Si les électeurs nés avant 1945 et entre 1945 et 1960 ont voté autant que par le passé, les jeunes des générations dites X (1960) et post-X (1970) se sont moins acquittés de leur devoir de citoyen. «Les dernières générations ne sont pas plus cyniques, contrairement à ce que tout le monde croit. Elles sont plutôt nettement moins intéressées par la chose politique et moins informées. Le facteur information joue beaucoup. Quand on n’est pas informé, on n’est pas mécontent!»

Cette étude a bénéficié du soutien d’Élections Canada, du Conseil de recherches en sciences humaines et de l’Institut de recherches en politiques publiques. Y ont également participé Richard Nadeau, du Département de science politique de l’UdeM, Élisabeth Gidengil, de l’Université McGill, et Neil Nevitte, de l’Université de Toronto, aidés d’une vingtaine d’assistants de recherche des trois établissements. Quelque 3651 répondants ont été interrogés durant la campagne électorale et après le scrutin.

Perspectives

André Blais ne participera pas à une éventuelle analyse du prochain scrutin fédéral. C’est pourquoi il demeure réticent à commenter l’issue des prochaines élections au pays, prévues au plus tard en novembre 2005. «Cela dépendra du candidat choisi et des autres leaders qui seront en place dans les diverses formations. Il n’est pas sûr qu’un changement de garde constitue un facteur défavorable.»

Les dissensions internes qui se sont fait jour, dans les dernières semaines, au PLC ne l’inquiètent pas. «Une course à la direction d’un parti fait apparaître des divisions mais aussi de l’espoir. Il y a un effet lune de miel associé à un nouveau chef.»

Le professeur entend se concentrer sur des études électorales comparatives entre la France, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande notamment. Le vote stratégique de l’électeur en vue de protester plutôt que d’appuyer un parti le captive aussi.

Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale




 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications et du recrutement