Édition du 30 septembre 2002 / volume 37, numéro 6
 
  Aimer ses enfants à mort
Jacques Marleau cherche à comprendre les raisons qui poussent un parent à commettre un infanticide.

 

Anthropologue et démographe de formation, Jacques Marleau, aujourd’hui chercheur à l’institut Philippe-Pinel de Montréal, s’intéresse à la problématique des «filicides» depuis une quinzaine d’années.  

Les hommes qui tuent leur enfant le font plus souvent par vengeance ou par jalousie, comparativement aux femmes qui commettent un tel acte plutôt par altruisme. Ils sont quatre fois plus nombreux que les femmes à se suicider après leur meurtre.

C’est ce qui ressort d’une série d’études menées par Jacques Marleau auprès de mères et de pères ayant tué ou tenté de tuer leur enfant. Le chercheur de l’institut Philippe-Pinel de Montréal présente les conclusions de ses travaux, dont les données proviennent d’entrevues, d’études descriptives et de recherches comparatives, dans deux articles parus dans le Canadian Journal of Psychiatry.

Selon un rapport de la Gendarmerie royale du Canada publié en 2000, le nombre d’enfants assassinés par leurs parents varie d’une année à l’autre, mais a atteint un sommet en 1997 avec 62 morts. Les néonaticides (meurtres de bébés de 24 heures et moins), les infanticides (meurtres d’enfants de moins de 12 mois par l’un ou l’autre des parents) et les homicides d’enfants plus âgés représentent huit pour cent des homicides perpétrés chaque année au pays, ce qui correspond annuellement à environ 52 meurtres d’enfants.

D’après M. Marleau, les motivations qui incitent les femmes et les hommes à commettre de tels meurtres, appelés «filicides», diffèrent profondément même si la littérature scientifique rapporte une règle générale: habituellement, les parents n’acceptent pas la séparation du couple. «Contrairement aux hommes qui tuent davantage par vengeance, les femmes tuent plus souvent par motivation altruiste pour éviter à l’enfant des souffrances réelles, anticipées ou amplifiées», affirme le chercheur, qui explique le geste de la mère par un isolement social et la présence d’éléments dépressifs majeurs.

«Souvent sans travail ni scolarité, elles vivent une accumulation d’événements stressants, dont des problèmes financiers et émotionnels.» Selon le chercheur, la plupart de ces femmes qui perçoivent leur petit comme une extension d’elles-mêmes agissent par altruisme afin de protéger l’enfant qu’elles ne peuvent imaginer vivre sans elles. Elles s’en prennent généralement aux enfants en bas âge.

Les pères présentent des caractéristiques différentes. Ils agressent habituellement des enfants dont l’âge varie de 5 à 18 ans. Le drame survient la plupart du temps à la suite d’une rupture d’union ou au moment de son anticipation. Les difficultés professionnelles et financières font également presque toujours partie du décor. «Le comportement de l’homme est souvent motivé par un désir de vengeance envers l’ex-conjointe, qu’il perçoit comme une possession et qu’il veut faire souffrir. Parfois, la rage l’amène à tuer toute la famille.»

Le syndrome du bébé secoué

Chez certains hommes, l’hostilité est carrément dirigée contre l’enfant. Le syndrome du bébé secoué, dont les pleurs exacerbent le père, est classique. Dans ce cas, la victime est le plus souvent de sexe masculin. «Les hommes ne sont pas toujours conscients qu’un bébé qui pleure ne les agresse pas volontairement. Ils ont alors tendance à employer une force excessive avec leur garçon dont le développement physique et intellectuel est perçu comme supérieur à leur âge chronologique.»

Le geste ne serait pas prémédité, mais accompli dans l’optique de discipliner et ou de punir l’enfant. La notion de jalousie joue parfois un rôle capital, selon M. Marleau. «L’agresseur n’est pas toujours le père biologique de la victime, mais le conjoint de la mère», dit-il. Les parents naturels sont-ils moins enclins à tuer leur propre enfant que les parents non biologiques? Certains le croient, répond le chercheur, qui rappelle toutefois que les parents non biologiques ayant perpétré un «filicide» sont rares. À son avis, l’homicide résulte davantage de l’état psychologique du parent que de son lien de parenté ou non avec l’enfant.

Jacques Marleau estime que les femmes peuvent elles aussi éprouver un problème de gestion de leur agressivité sous la forme d’un excès ou d’un faible contrôle. Mais de 25 à 40 % passent à l’acte pendant un épisode psychotique. Dans la plupart des cas, les mères psychotiques utilisent à l’instar des hommes un couteau ou une arme à feu pour tuer leur enfant. Celles qui souffrent de dépression majeure ou de troubles de la personnalité (limite, dépendante, narcissique) emploient des moyens moins violents, par exemple la noyade ou l’étouffement avec un oreiller.

Chez les hommes, le chercheur constate plusieurs éléments négatifs présents dans leur vie au moment du passage à l’acte, notamment des comportements impulsifs combinés avec une consommation abusive de drogues ou d’alcool. Certains souffrent aussi de psychose.

Néonaticides

Dans un troisième article à paraître prochainement, Jacques Marleau et ses collaborateurs de l’institut Philippe-Pinel de Montréal (Line Laporte, Bernard Poulin, Renée Roy et Thierry Webanck) ont cherché à savoir si le meurtrier d’un enfant était plus souvent une mère ou un père. Une soixantaine d’études internationales publiées sur le sujet au cours des 50 dernières années ont été analysées. «En comparant les ratios sur une aussi longue période, on se rend compte qu’il y a autant d’hommes que de femmes, sinon plus, qui commettent un “filicide”. Cette situation est surprenante puisque les textes de la littérature rapportent le contraire.»

M. Marleau estime que l’inclusion des néonaticides dans les calculs de proportion contribue à une surreprésentation féminine puisque la presque totalité de ces meurtres sont commis par des femmes.

«Environ 45 % d’entre elles sont en moyenne âgées de 24 ans, alors que les autres ont moins de 18 ans au moment de l’acte.» Le chercheur a noté dans la littérature 420 cas de néonaticides commis depuis 1950 dans 13 pays occidentaux. «Et ce ne sont que les cas recensés dans les documents scientifiques…»

Dominique Nancy



 
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