Édition du 07 octobre 2002 / Volume 37, numéro 7
 
  Produits naturels: à utiliser avec prudence
Les consommateurs paient parfois cher l’usage de produits miracles.

 

Jacques Le Lorier 

Pour maigrir, dormir ou prévenir certaines maladies, un Canadien sur deux avale des vitamines, des suppléments minéraux et des produits à base d’herbes. L’industrie des produits naturels a le vent dans les voiles. Aux États-Unis, les ventes ont augmenté de 380 % entre 1990 et 1997. Au Canada, elles frôlaient les trois milliards de dollars en 1999. Mais ces produits n’entraînent pas que des effets bénéfiques.

«Le fait de qualifier ces substances de “naturelles” a une connotation santé; on les croit donc inoffensives, dénote Jacques Le Lorier, chercheur en pharmacoépidémiologie et professeur en pharmacologie. Mais je peux vous nommer une vingtaine de plantes qui peuvent vous tuer! La ciguë, par exemple.»

Santé Canada rapporte que, dans le monde, 24 personnes désireuses de régler leurs problèmes d’insomnie ou de nervosité ont causé du tort à leur foie en ingérant des produits contenant du kava, qui vient d’être interdit au pays. L’une d’entre elles est décédée et plusieurs autres ont dû subir une transplantation. Récemment, la revue Neurology montrait du doigt une plante médicinale responsable des graves troubles neurologiques dont s’était mise à souffrir une Italienne qui suivait un régime amaigrissant.

Interactions dangereuses

«C’est surtout la prise régulière de ces produits en interaction avec des médicaments ou des maladies qui crée des problèmes», précise Lise Lefebvre, pharmacienne au Centre antipoison du Québec. Les effets de certaines plantes peuvent en effet s’additionner à ceux des médicaments d’ordonnance ou, au contraire, les contrecarrer. Ainsi, des personnes diabétiques ont vu leur taux de sucre augmenter après avoir avalé de la glucosamine. Des femmes qui prenaient la pilule anticonceptionnelle et du millepertuis ont subi des hémorragies utérines.

Le millepertuis, qualifié parfois de «Prozac naturel», diminue l’effet anticoagulant de la warfarine. Pis encore, des patients transplantés ont souffert d’un rejet aigu d’organe lorsque le millepertuis a interféré avec la cyclosporine, un médicament antirejet. Aussi, la consommation de gingko biloba est à éviter si l’on prend de la warfarine ou même de l’aspirine. Des personnes ont appris à leurs dépens que ce mélange causait des hémorragies.

En Belgique, une centaine de patientes qui suivaient un régime amaigrissant à base d’herbes chinoises n’ont pas seulement perdu du poids, elles ont également détérioré leurs fonctions rénales. L’une d’elles a développé un cancer, une quarantaine d’autres ont dû subir une ablation des reins. La cause? Une horrible méprise. Les comprimés contenaient en fait de l’aristoloche, une plante cancérigène, confondue avec une autre plante dont le nom chinois était presque identique.

Il ne faut pas oublier que plusieurs médicaments traditionnels (morphine, éphédra, aspirine) proviennent de plantes. «Tout produit qui possède une efficacité a également une toxicité. J’inclus l’aspirine», prévient M. Le Lorier.

Réglementation défaillante

Un problème de contrôle persiste au Canada. Les comprimés de gingko biloba de la pharmacie du coin proviennent-ils de la feuille ou bien des fruits et des racines, lesquels sont toxiques? Difficile à dire, car beaucoup de produits naturels sont considérés comme des aliments et échappent ainsi à l’exigeante réglementation sur les médicaments. «Un des arguments des fabricants de produits naturels est que, compte tenu de la grande distribution de ces produits, les accidents sont excessivement rares», concède Jacques Le Lorier.

Est-ce vraiment le cas? Ou bien est-ce parce qu’on n’a pas pu établir de lien de causalité entre une dégénérescence, une intoxication et l’usage répété d’une de ces substances? On l’ignore, puisqu’il n’existe pas de recherches sur le sujet. «Pour effectuer des études, il faut avoir des données, il faut savoir qui prend ces produits. Ils sont vendus sans ordonnance. Il n’existe donc aucun contrôle», déplore le chercheur. Selon La Presse, 70 % des gens qui les utilisent ne le disent pas à leur médecin… sans parler des vendeurs de produits naturels qui conseillent aux gens de garder le secret!

Le chercheur ne voit pas pourquoi on devrait classer les produits naturels à part, comme le souhaitent les fabricants. À défaut de les retirer de la vente libre, comme l’a fait l’Europe, M. Le Lorier recommande de «demander conseil au pharmacien sur ce qu’on se procure sans ordonnance. Sans exception!»

Annie Cloutier
Collaboration spéciale



 
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