Édition du 21 octobre 2002 / Volume 37, numéro 8
 
  Don d’une importante collection d’œuvres de Jean Cocteau
Le donateur, Gilles Blain, a rencontré le poète à Paris en 1962.

 

Gilles Blain a fait don à l’Université de Montréal de sa collection des œuvres de Jean Cocteau (1889-1963), mais il garde pour lui ce dessin réalisé en 1962, au cours de sa première rencontre avec l’artiste.  

Gilles Blain n’a jamais oublié son premier entretien avec Jean Cocteau à Paris en octobre 1962. «C’était un an avant sa mort, explique M. Blain. Nous n’étions qu’une poignée d’universitaires, tous étrangers, à travailler sur son œuvre. Moi, je m’intéressais au sens du tragique dans sa production cinématographique. Le poète a accepté de bon cœur de me rencontrer dans son appartement du Palais-Royal, rue de Montpensier.»

Après cette rencontre, l’étudiant a été invité à passer un week-end en compagnie de Jean Cocteau et de son fils adoptif, Édouard Dermit, à la villa Santo Sospir, en Île–de-France. Une villa couverte de fresques et de murales de Cocteau, que peu de gens, hormis le cercle des intimes, ont pu admirer. Dès son retour au Québec, Gilles Blain a entretenu une correspondance avec Cocteau. «Il a été pour moi comme un grand-père», dit-il.

Le Québécois a conservé précieusement un autoportrait que Cocteau a griffonné pendant leur entretien à Paris, et cette pièce a enrichi une collection entamée durant ses premières années d’études. On peut voir ce dessin dans une exposition qui débute le 21 octobre au quatrième étage du Pavillon Samuel-Bronfman. Cette exposition souligne un événement majeur, tant pour M. Blain que pour le Service des livres rares et des collections spéciales: la donation de cette collection à l’Université de Montréal.

En 50 ans, M. Blain a amassé des centaines de documents, manuscrits et œuvres d’art. «C’est Jean Cocteau qui m’a communiqué cette passion pour la collection. Une véritable maladie contagieuse», observe-t-il en souriant.

Étant donné l’importance de la collection, le donateur a choisi de diviser son legs en trois. La première partie, déjà achevée, comprend les ouvrages imprimés. Elle compte à elle seule 392 pièces, dont la rarissime série complète du journal Le mot, où l’on trouve une soixantaine de dessins signés Jim, le pseudonyme de Cocteau. La partie suivante sera constituée d’un nombre similaire de livres ayant pour thème Jean Cocteau. La dernière partie du legs, que M. Blain cédera à son décès, comprend les grands livres d’art sur Cocteau, les manuscrits et les photos personnelles du collectionneur.

Un don apprécié

Selon la Commission canadienne d’examen des exportations de biens culturels, le fonds de M. Blain représente la plus importante collection privée du Canada des œuvres de Cocteau. «Jean Cocteau occupe une place prépondérante dans la littérature française et les arts du 20e siècle. Nous sommes ravis d’accueillir cette collection à l’Université de Montréal d’autant plus qu’aucune autre bibliothèque canadienne ne possède de fonds Cocteau», déclare Geneviève Bazin, responsable du Service des livres rares et des collections spéciales à la Direction des bibliothèques. Mme Bazin signale que les chercheurs et les étudiants auront accès à une source d’information précieuse lorsque la donation sera complétée.

Le coût des œuvres signées Jean Cocteau a décuplé après le décès du poète, le 11 octobre 1963. Pour M. Blain, cela signifiait une hausse subite de la valeur de ses possessions, mais aussi une flambée des prix.

«Si je n’avais pas commencé à collectionner du vivant de Cocteau, je n’aurais pas pu acquérir autant de livres et d’objets d’art», constate cet ancien professeur de cinéma et de littérature au collégial. Depuis qu’il a pris sa retraite, il se concentre sur l’inventaire et la bonification de sa collection.

Après avoir refusé l’offre d’un collectionneur américain, M. Blain a décidé de faire don de sa collection au Service des livres rares et des collections spéciales de l’Université. «Je voulais qu’elle reste au Québec.»

Un mensonge qui dit la vérité

Qui était Jean Cocteau? Artiste multimédia trois décennies avant l’invention du mot, Jean Cocteau a flirté avec la télévision et la radio. Romancier, cinéaste, homme de théâtre et peintre, il a même appris la poterie avec son ami Pablo Picasso. On lui attribue quelque 2500 œuvres spatiales ou picturales (lithographies, aquarelles, poteries, etc.). Mais il se définissait surtout comme un poète. Il n’a jamais cessé d’exploiter le thème de l’amour impossible, avec la figure d’Orphée, qui revient tant dans ses dessins que dans ses longs métrages.

«Comprenne qui pourra, je suis un mensonge qui dit toujours la vérité», ironisait l’artiste au sujet de lui-même. «Certains l’ont traité de “touche-à-tout”. Moi je dirais qu’il s’est servi de plusieurs supports artistiques pour faire passer son message», rectifie Gilles Blain. Et quel était ce message? Une interrogation sur la place du poète dans la société, dont le film La belle et la bête est une illustration célèbre.

Jean Cocteau demeure méconnu 40 ans après sa mort, selon Gilles Blain, qui a réalisé la richesse et la profondeur de l’œuvre du poète au cours de son voyage d’études à Paris au début des années 60.

Bouquinant dans les librairies spécialisées du Quartier latin, à Saint-Sulpice, à Saint-Germain, il s’initie à la bibliophilie. «Ce fut mon initiation au beau livre illustré, aux éditions originales, aux papiers de luxe, aux autographes, aux revues rares conçues comme des objets d’art», se souvient-il. Il bouquine aussi à Londres et Bruxelles, acquérant lithographies, affiches et faïences.

Cocteau, qui vénérait les livres, aurait été heureux de se retrouver au milieu des précieux ouvrages du Service des livres rares. «Le livre est un silence, a-t-il écrit. Un étrange oiseau qui ouvre ses ailes couvertes de signes et se pose sur votre table et entre vos mains. Il faudrait favoriser le vol de ses ailes qui transportent de vrais trésors des peuples.»

Mathieu-Robert Sauvé



 
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