Édition du 21 octobre 2002 / Volume 37, numéro 8
 
  La vision du peintre sous l’œil de l’ophtalmologiste
Jean Milot diagnostique les troubles de la vue à travers les œuvres des grands peintres.

 

«Les maladies de la vision influent sur la façon dont un peintre exerce son art», affirme le Dr Jean Milot. 

Même si les ophtalmologistes disposent de plusieurs outils sophistiqués pour détecter les troubles de la vue, le Dr Jean Milot, professeur au Département d’ophtalmologie, exerce son art à l’aide d’une méthode peu ordinaire: la peinture.
«L’art de peindre relève du cerveau de l’artiste et de son génie créateur, mais les maladies de la vision influent aussi et de façon déterminante sur sa pratique de la peinture», souligne-t-il. Plusieurs peintres célèbres ont été affectés de divers troubles de la vue qui ont eu un effet décisif sur leur style.

Le Dr Milot a présenté une revue des cas les plus connus à la première conférence de la série «Art, littérature et psychiatrie» tenue le 25 septembre dernier, une série organisée par le service de psychiatrie de l’hôpital Jean-Talon.

Le cas le plus illustre est sans doute celui de Claude Monet, atteint d’une «cataracte jaune». «Monet peignait tel qu’il voyait, raconte Jean Milot. En 1920, sa cataracte sénile l’empêchait de voir le bleu, d’où la prédominance des jaunes et des rouges dans ses tableaux. Plus tard, seules les teintes rouges et orangées lui seront perceptibles et tout baignera dans un épais brouillard.»

La célèbre série du Pont japonais montre l’évolution de sa maladie: couleurs naturelles au début, dominante de jaune par la suite et finalement plus que des teintes sombres où le pont devient à peine discernable.

Après s’être fait opérer à l’œil droit, Monet peint certaines scènes à partir de ce qu’il voit de son œil gauche ou de son œil droit; c’est ainsi qu’une version de la Maison du jardin aux roses affiche des rouges et des orangés, alors qu’une autre est dans les teintes de bleu.

Les tableaux de Vincent Van Gogh présentent eux aussi des dominantes de jaune, notamment ses tournesols, ses champs de blé, la Maison jaune ou encore la Paysanne au chapeau de paille. Le peintre ne souffrait pas de cataracte mais de xanthopsie, une affection de l’œil qui fait voir en jaune. Mais selon l’ophtalmologiste, peut-être que Van Gogh était aussi un amateur d’absinthe, que prisaient entre autres Manet, Degas et Picasso, un alcool qui fait voir jaune et qui peut rendre fou.

 

Nature morte aux tournesols, de Vincent Van Gogh. Le peintre souffrait de xanthopsie, une affection de l’œil qui fait voir jaune. De plus, il consommait probablement de l’absinthe, qui fait également voir jaune. 

Quant aux halos entourant les lumières ou les soleils sur les toiles de Van Gogh, ils pourraient être le fait des migraines dont le peintre était affligé.

Edvard Munch, connu surtout pour son tableau Le cri, souffrait pour sa part d’une hémorragie dans le vitré de l’œil droit et possiblement d’une amblyopie ou cécité partielle de l’œil gauche. L’hémorragie, qui lui masquait une partie de sa vision, se retrouve dans plusieurs toiles sous la forme d’un oiseau noir aux ailes déployées. Selon le Dr Milot, l’oiseau noir, comme Le cri, trahit chez Munch une peur démentielle de la mort.
Moins connu que les précédents, le peintre Charles Méryon était atteint de dyschromatopsie ou daltonisme. Il percevait le bleu et le jaune, mais pas le rouge ni le vert. Ses paysages de Polynésie, où abondent les fleurs aux riches coloris, ont été peints en noir et blanc!

Autre cas illustre, Camille Pissarro. Celui-là était aux prises avec une dacryocystite chronique, une inflammation du canal lacrymal qui, chez Pissarro, a entraîné une photophobie. C’est pourquoi plusieurs de ses œuvres présentent des scènes de nuit, de temps gris ou sous la pluie.

«Le talent d’un peintre peut donc être le résultat d’un défaut de la vision», a résumé le Dr Julio Alarcia, du service de psychiatrie de l’hôpital Jean-Talon, coordonnateur de la série de conférences. Ces rencontres ouvertes au grand public offrent une tribune à tous ceux qui s’intéressent aux interactions entre l’art et la science. La prochaine conférence aura lieu le 23 octobre: Gilles Bibeau, professeur au Département d’anthropologie, traitera de l’éloge de la folie dans la littérature du 16e siècle, d’Érasme à Montaigne.

Daniel Baril



 
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