Édition du 28 octobre 2002 / volume 37, numéro 9
 
  Rituel de consommation et marketing
Jean-Sébastien Marcoux analyse l’économie informelle sous l’angle de l’ethnologie.

 

Jean-Sébastien Marcoux, professeur à HEC Montréal.  

Si vous avez participé à un échange de cadeaux avec vos collègues de travail à Noël l’année dernière et que vous avez suivi la nouvelle tendance dans ce domaine, vous avez probablement échangé des objets usagés.

Ce geste apparemment anodin est riche de significations à la fois sociologiques, anthropologiques et économiques. Pourquoi adoptons-nous cette nouvelle habitude et pourquoi maintenant? Quel sens revêt le geste pour ceux qui l’accomplissent? Quels types d’objets sont ainsi échangés? Qu’advient-il de ces objets? L’économie informelle a-t-elle un impact sur l’économie marchande?

C’est le genre de questions que se pose Jean-Sébastien Marcoux, professeur à HEC Montréal, et auxquelles il tente de répondre en associant marketing et ethnologie. «L’objectif de cette approche est d’observer comment nous donnons un sens au monde qui nous entoure par la consommation d’objets, précise le professeur. Les groupes sociaux fabriquent les objets, mais ils sont en même temps fabriqués par ces objets et par la façon dont ils les utilisent; on ne peut dissocier ce qui relève de l’humain et ce qui relève du monde matériel.»

Spécialiste de l’économie informelle non reconnue par les approches traditionnelles en marketing, le professeur Marcoux vient d’obtenir deux subventions du CRSH et du Fonds québécois de recherche sur la société et la culture afin d’étudier la «seconde vie» des objets de consommation. Plus précisément, l’étude portera sur la façon dont nous nous défaisons des objets encore utilisables et sur les motifs qui nous amènent à nous en départir. La collecte de données sera effectuée auprès des réseaux non institutionnels de récupération et d’entraide constitués d’œuvres de charité, de friperies et de glaneurs en tous genres.

Ouvrir le marketing à l’anthropologie

Très peu d’études se sont penchées sur un tel sujet et les chercheurs ignorent à peu près tout de ce qui arrive aux objets de consommation dans leur deuxième vie. Sont-ils revendus? donnés à des personnes proches? recyclés comme matière première? Les réseaux reflètent-ils une hiérarchisation des objets en fonction de leur valeur sociale, symbolique, marchande?

«Ce programme ne se situe pas en opposition avec l’étude de l’économie marchande, tient à préciser le professeur. Il s’inscrit plutôt dans le contexte de l’ouverture du marketing aux aspects culturels et humains de la consommation, d’où l’intérêt porté aux pratiques populaires et aux rituels de consommation.»

Mais au lieu d’analyser la marchandise en fonction des critères habituels du marketing (en distinguant par exemple les objets nobles des objets breloques) ou selon des jugements moraux sur la consommation, l’approche se réfère davantage au concept d’objets aliénables ou inaliénables puisque les réseaux d’échanges en question reposent particulièrement sur le don.

«L’objet inaliénable est celui considéré comme faisant partie de soi-même, qui ne se vend pas et qui ne se donne pas au hasard, explique Jean-Sébastien Marcoux. Cette distinction est utile pour observer la création de valeurs en termes autres qu’économiques.»

Le professeur a d’ailleurs consacré son doctorat en anthropologie (University College London) à la façon dont les personnes âgées et les personnes en situation de deuil se départissent des objets qu’elles ont accumulés ou côtoyés pendant toute leur vie ou encore qui ont appartenu à quelqu’un d’autre. «En situation de crise, nous sommes confrontés à des valeurs matérialisées dans les objets, dit-il. Il est plus facile de comprendre ce que pensent vraiment les gens en étudiant les attitudes dans ces situations qu’en s’en remettant uniquement à leurs paroles.»

Titulaire également d’un M.B.A. en recherche, Jean-Sébastien Marcoux donne un séminaire en anthropologie de la consommation à la maîtrise centré sur trois thèmes: l’analyse des habitudes de magasinage, la construction de l’identité de groupe à travers le choix d’objets de consommation et l’établissement de relations sociales par les modes alternatifs d’échanges.

Daniel Baril



 
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