Édition du 28 octobre 2002 / volume 37, numéro 9
 
  Pour éviter le trop et le trop peu en «accommodement raisonnable»
Jusqu’où faut-il aller pour respecter le droit à l’égalité des minorités?

 

Deux conférences seront présentées par Rachida Azdouz sur le pluralisme en milieu universitaire les 20 novembre et 4 décembre prochains.  

Avec la montée du pluralisme ethnique et religieux dans les universités québécoises, de plus en plus de professeurs sont confrontés à la problématique de l’accommodement raisonnable demandé par certains étudiants sans toujours connaître la bonne attitude à adopter.

Certains conflits ont été amplement médiatisés au cours des dernières années, comme les débats sur le port du foulard islamique et du kirpan sikh dans les écoles ou encore l’éruv des hassidims à Outremont, mais la problématique de l’accommodement raisonnable dépasse les seules questions religieuses et s’avère plus complexe qu’il n’y paraît.

Rachida Azdouz, responsable du Certificat en relations interculturelles à la Faculté de l’éducation permanente, en a fait sa spécialité. «L’accommodement raisonnable est une obligation juridique qui découle du droit à l’égalité inscrit dans les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés», tient-elle à préciser d’emblée pour écarter toute mauvaise interprétation du terme.

C’est donc dire qu’un accommodement raisonnable n’est ni un privilège consenti à une minorité ni un simple arrangement volontaire. «L’accommodement doit viser l’intégration de la personne et corriger une discrimination indirecte. Si ces aspects ne sont pas présents, on n’a pas à rechercher d’accommodement», affirme Mme Azdouz.

Égalité et bien-être collectif

Si ce sont surtout les questions religieuses qui ont retenu l’attention, les chartes spécifient que le droit à l’égalité doit être respecté sans discrimination fondée, entre autres, sur l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état civil, la grossesse, le handicap et l’origine ethnique. À moins bien sûr que la préférence ne soit justifiée par la nature de la fonction à occuper.

À titre d’exemples de cas pouvant se présenter à l’université, Rachida Azdouz mentionne les situations suivantes: un étudiant qui ne peut se présenter à une activité de formation le samedi parce qu’il observe le sabbat; des documents de base non disponibles en braille; un homme qui s’oppose à ce que sa femme travaille avec d’autres hommes; une étudiante qui refuse de faire des dissections pour des raisons éthiques.

«Il faut traiter ce genre de situations au cas par cas, souligne-t-elle. Il ne suffit pas que quelqu’un ait le sentiment d’être traité de façon inéquitable pour qu’il y ait automatiquement discrimination; il faut évaluer la recevabilité de la plainte — c’est-à-dire vérifier si un droit fondamental est en cause — et tenir compte du bien-être collectif en évitant la contrainte excessive.»

Dans l’exemple du sabbat, il y aurait manquement à l’équité de traitement si un professeur permettait l’absence du requérant et notait la présence des autres sans exiger de travail compensatoire de la part de l’étudiant absent. Pour le handicap visuel, il y aurait contrainte excessive à réclamer que tous les documents de tous les cours soient accessibles en braille. En revanche, le fait d’accommoder l’étudiant ou l’étudiante en offrant un service spécialisé en pareille circonstance ne contrevient pas au principe d’équité même si l’on observe une différence de traitement.

Quant à l’exigence de non-mixité dans les groupes de travail, le cas serait tout simplement irrecevable en vertu des chartes et des objectifs de formation. Le refus de la dissection pour des raisons éthiques apparaît par contre comme un cas limite qui demanderait des analyses assez poussées.

«L’accommodement raisonnable ne doit jamais viser à implanter des services publics à deux vitesses», tient à souligner Mme Azdouz. À ses yeux, deux écueils sont donc à éviter: traiter la demande de façon trop complaisante en risquant de créer un précédent difficile à justifier ou opposer un refus trop strict qui risquerait d’entraîner une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne si la demande s’avérait légitime.

Réciprocité et fantaisies

Certains cas limites, comme le refus de faire des dissections ou le jeûne du ramadan, soulèvent une autre question, soit la règle de réciprocité: les demandeurs doivent eux aussi évaluer s’ils sont aptes à répondre aux exigences incontournables de la formation ou de la profession qu’ils recherchent. «L’accommodement relève de la négociation et les deux parties doivent être prêtes à un compromis», estime Rachida Azdouz.
Toutefois, il serait erroné d’écarter une demande parce que l’on considérerait la pratique ou la croyance invoquée comme étant trop étrangère à la culture ambiante. «La réduction d’orthodoxie, face à des pratiques pouvant sembler trop intégristes aux yeux de certains, n’est jamais prise en considération par les tribunaux. Ils ne se mêlent jamais de déterminer ce qu’est une bonne pratique, sauf s’il y a évidence de mauvaise foi ou de pure fantaisie.»

Un exemple de pure fantaisie: en réaction à la demande du port du kirpan par un élève de religion sikhe, d’autres élèves de la même école ont réclamé le droit de porter les cheveux bleus parce que ceci était une exigence d’une religion qu’ils venaient d’inventer.

Pour éviter les pièges, mieux vaut être bien préparé. Afin de répondre à la demande dans ce domaine, Rachida Azdouz animera prochainement deux activités de formation sur la problématique du pluralisme en milieu universitaire: un atelier offert le 20 novembre par le Centre d’études et de formation en enseignement supérieur de l’UdeM à l’intention particulièrement des professeurs; une conférence-midi sur la communication en situation de diversité présentée le 4 décembre à l’occasion des activités partagées de la Direction des ressources humaines et de l’ACPUM proposées aux cadres et aux professionnels.
Rachida Azdouz assumera également l’hiver prochain la charge du nouveau cours sur les conflits de valeurs et de droits donné au Certificat en relations interculturelles.

Daniel Baril



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications et du recrutement