Édition du 28 octobre 2002 / volume 37, numéro 9
 
  Quand le maïs transgénique éclate…
L’utilisation du maïs transgénique devrait faire l’objet d’analyses des risques biotechnologiques.

 

Le professeur Bernard Sinclair-Desgagné estime que le Canada ne prend pas suffisamment le temps de mesurer les risques biotechnologiques. 

« Alors qu’en Europe les consommateurs livrent une bataille féroce contre les produits transgéniques, au Québec, on sait à peine de quoi il s’agit. Pourtant, ils ont déjà envahi nos assiettes.»

Celui qui s’exprime ainsi, Bernard Sinclair-Desgagné, est un spécialiste de l’économie de l’environnement et des risques technologiques. Il ne s’oppose pas à l’utilisation des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui, selon lui, permettent d’accroître de façon quantitative et qualitative les rendements agricoles, mais il déplore l’actuelle absence d’évaluation des risques.

 «Le cas du maïs StarLink met en évidence l’importance non seulement de connaître et de pouvoir gérer les dangers liés aux OGM avant de les mettre sur le marché, mais aussi d’être en mesure de les retracer dans le système agroalimentaire», souligne le professeur de HEC Montréal également vice-président du groupe Gouvernance au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

Commercialisé par la multinationale Aventis CropScience, le maïs StarLink n’est autorisé aux États-Unis que pour l’alimentation animale et la production d’éthanol. Au Canada, sa culture est illégale. Néanmoins, en septembre 2000, Canadiens et Américains apprenaient que des coquilles de tacos fabriquées aux États-Unis par la compagnie Taco Bell contenaient de ce maïs. Partout sur le continent, on a dû retirer ce produit des épiceries. À cette occasion, StarLink aurait fait perdre environ un million de dollars au gouvernement du Canada. Plus récemment, en avril 2002, Monsanto et Aventis, deux entreprises engagées dans la biotechnologie, ont rappelé à leur tour des semences de colza transgénique non approuvées.

En collaboration avec deux chercheurs associés au CIRANO, Éric Clément et Caroline Debuissy, M. Sinclair-Desgagné s’est penché sur le cas du maïs StarLink et a procédé à une analyse de la propagation des risques biotechnologiques. À peine quelques études ont été effectuées sur le sujet. Le rapport illustre les impacts économiques et les difficultés de contrôle que peut engendrer la dissémination d’OGM, alors que subsiste un manque de connaissances quant à leurs effets sur la santé et sur l’environnement.

Quel risque?

Le maïs StarLink contient une protéine, le Cry9C, qui synthétise un insecticide puissant, le BT, et terrasse son principal ravageur, la larve de pyrale. Chez l’être humain, cette protéine est susceptible de causer des allergies: diarrhées, urticaire ou respiration sifflante. À ce jour, aucun décès n’a été signalé. Selon le rapport du Scientific Advisory Panel, rendu public en juillet 2001, il existe une faible probabilité que la protéine Cry9C induise une réaction allergique chez le consommateur en raison des quantités de maïs StarLink dans l’alimentation. L’organisme a cependant indiqué que l’information était inadéquate pour établir, avec certitude, que l’exposition StarLink n’était pas nocive pour la santé publique.

Un autre risque réside dans ce qu’on appelle la pollution génétique. Lorsque les agriculteurs isolent mal leurs cultures, le maïs génétiquement modifié peut contaminer des champs de maïs traditionnels lors de la pollinisation. C’est ainsi que deux agriculteurs québécois ont vu du maïs hybride sécrétant la protéine Cry9C se développer dans leurs champs.

Cette dissémination involontaire dans l’environnement et dans les produits d’alimentation aurait même touché le Japon, qui reçoit 30 % des exportations américaines. «Les pays sont unis entre eux par des liens commerciaux et environnementaux. C’est pourquoi lorsqu’un problème survient dans le système alimentaire, les conséquences peuvent se répercuter à différents niveaux de façon plus ou moins maîtrisable», affirme M. Sinclair-Desgagné.

Il faut dire que la probabilité que la protéine Cry9C parvienne jusqu’au garde-manger du consommateur est plutôt faible. «Elle n’est pas nulle, avise toutefois le chercheur. Les risques dépendent principalement des efforts déployés par les industries de transformation pour réaliser les tests de détection de la protéine en question.»

Mieux gérer les risques

Avec ses trois millions d’hectares de cultures transgéniques, le Canada arrive au troisième rang, derrière les États-Unis et l’Argentine, pour ce qui est des superficies de culture d’OGM. Au Québec en 2001, le quart des terres étaient consacrées aux cultures transgéniques. En fait, environ 10 % de la production transgénique mondiale est faite ici!

Cette situation fait craindre le pire à Bernard Sinclair-Desgagné. «Toute nouvelle technologie est source de risque, dit-il. En présence d’incertitudes scientifiques, une gestion adéquate des dangers — qui passe entre autres par la compréhension et une mise en œuvre appropriée du principe de précaution — doit devenir une priorité. Cela est d’autant plus important dans le cas des OGM que la multiplicité des acteurs provoque un morcellement des responsabilités, ce qui diminue le contrôle des risques.»

Autre problème: l’absence d’étiquetage aux États-Unis et au Canada. «Les OGM ne font pas l’objet d’une ségrégation dans l’industrie agroalimentaire et d’un étiquetage rigoureux et fiable, rappelle le chercheur. Cette mesure pourrait pourtant, en impliquant directement les consommateurs, contribuer à réduire les risques de manière substantielle.»

Dominique Nancy



Des organisations efficaces et compétitives

Le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) rassemble quatre groupes de recherche liés à sept établissements universitaires québécois, plusieurs grandes entreprises et deux ministères du gouvernement du Québec. Ce réseau, unique au monde, s’est engagé depuis 1998 à accroître l’efficacité et la compétitivité des entreprises québécoises.

Les projets de recherche du CIRANO s’inscrivent dans quatre grands axes. Le premier s’intéresse à la formation du capital humain, la performance des systèmes éducatifs, l’évaluation des politiques en matière de santé, l’environnement de travail, les facteurs de performance et la gestion des ressources humaines dans les entreprises. Le volet «finance» porte notamment sur la gestion des risques et leur mesure, l’évaluation de la stabilité des marchés financiers et l’évaluation empirique des modèles. Un autre axe concerne le commerce électronique. Enfin, le quatrième examine la gouvernance sous l’angle de l’allocation des ressources, de l’organisation interne des PME à celle des services et de la fonction publique, en passant par la structure de l’entreprise multinationale et la réglementation.

Les établissements universitaires membres du CIRANO sont l’École Polytechnique, HEC Montréal, les universités Concordia, McGill et Laval, l’Université du Québec à Montréal et l’Université de Montréal.

 



 
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