Édition du 4 novembre 2002 / volume 37, numéro 10
 
  Les fausses couches à répétition: un profond sentiment d’échec
Pour une femme qui désire un enfant, la perte d’un fœtus est une douloureuse expérience qui remet en question ses capacités à procréer.

 

Emmanuelle Robert étudie les répercussions des fausses couches répétées sur l’expérience d’une nouvelle grossesse. 

La perte d’un fœtus entraîne chez la femme un processus de deuil aussi important que la mort d’un enfant à la naissance, estime Emmanuelle Robert, dont la thèse de doctorat traite des répercussions des fausses couches répétées sur l’expérience d’une nouvelle grossesse.

«De quatre à six pour cent des femmes enceintes vont faire au moins deux fausses couches alors que près de deux pour cent en font trois ou plus. On parle alors d’“avortements spontanés répétés”, souligne la chercheuse. On sait que cette situation est difficile à traverser, car à la peine de perdre un enfant s’ajoute la culpabilité et la crainte de ne jamais en avoir, mais aucune étude empirique n’a été entreprise sur le sujet.»

Ses travaux, menés sous la supervision d’Hélène David, professeure et coordonnatrice du programme de psychologie clinique, visent à mieux comprendre les différents symptômes et leurs enjeux psychiques. Mme Robert cherche plus précisément à savoir comment l’anxiété, la dépression et la culpabilité se manifestent au cours de la grossesse suivante.

C’est à partir de l’analyse des perceptions et des représentations maternelles d’une vingtaine de Québécoises à l’amorce d’une nouvelle grossesse qui fait suite à des fausses couches à répétition qu’elle entend atteindre cet objectif. Les femmes qui composent l’échantillon, aussi formé de patientes en clinique de fertilité, seront suivies tout au long de leur gestation.

Processus de sélection naturelle

Au Québec, une femme sur cinq fait une fausse couche, selon les statistiques du ministère de la Santé et des Services sociaux. À 20 ans, le risque d’avortement spontané est de 9 % alors qu’il atteint 40 % chez les femmes de plus de 40 ans. «L’avortement spontané est l’expulsion naturelle du fœtus avant la période de viabilité, soit à la 20e semaine de grossesse. Après cette date, le phénomène est appelé “accouchement prématuré”», explique Emmanuelle Robert.

Les fausses couches dites précoces surviennent au cours des trois premiers mois de la grossesse et sont beaucoup plus fréquentes que les fausses couches du second trimestre, soit après la 14e semaine de gestation. «Il n’y a pas plus de grossesses non abouties de nos jours qu’il y a 50 ans, fait remarquer la chercheuse. Si l’on a l’impression qu’il s’en produit davantage, c’est que les femmes ont leur premier enfant beaucoup plus tard, après la trentaine. À partir de cet âge, le nombre d’ovules se raréfie et les risques d’anomalies chromosomiques augmentent.»

La fausse couche est généralement causée par l’expulsion d’un embryon qui présente une malformation et son rejet se fait selon un processus de sélection naturelle. D’autres causes comme des infections, des anomalies utérines et des problèmes immunologiques peuvent aussi être à l’origine de l’expulsion du fœtus.

Pour l’instant, on ne peut désigner la cause médicale de cette expulsion que dans 50 % des cas. Même si le sujet représente un domaine très étudié, beaucoup de questions demeurent sans réponse. Les travaux d’Emmanuelle Robert pourraient permettre d’élaborer un programme de soutien psychologique et d’intervention thérapeutique qui tiendrait compte de certains moments jugés critiques pendant la grossesse.

Anxiété et dépression

La littérature scientifique rapporte que les femmes sans enfants risquent davantage de souffrir de dépression après un avortement spontané. Deux moments sont particulièrement à risque : 3 mois et 12 mois après la fausse couche. «Ma recherche vise entre autres à vérifier si ces moments ont une signification symbolique qui jouerait sur l’état psychologique. La résurgence des sentiments dépressifs un an après une fausse couche pourrait par exemple correspondre à une réaction à la date anniversaire de la mort utérine.»

Le temps n’arrange-t-il pas toujours les choses? Au contraire, répond la chercheuse, les sentiments d’anxiété et de dépression peuvent s’aggraver avec le temps. Selon une étude récente, 68 % des femmes qui vivent une telle expérience appréhendent encore une fausse couche deux ans après la perte. Leur niveau d’anxiété serait comparable à celui des femmes infertiles. «Le fait qu’elles peuvent encore tomber enceintes ne réduit pas leur stress, puisqu’elles sont envahies par la peur de ne pas pouvoir mener une grossesse à terme.»

Bon nombre de femmes dans cette situation ont également l’impression de perdre le contrôle de leur capacité reproductive et éprouvent des sentiments de culpabilité, de tristesse et d’échec. Certaines ressentent même de la honte et vivent un abattement profond. La façon dont l’événement sera vécu par la femme dépend de plusieurs facteurs: son âge, le nombre de fausses couches antérieures, le soutien dont elle dispose et le fait qu’elle ait ou non d’autres enfants.

D’après Emmanuelle Robert, la douleur ressentie à la mort périnatale n’est pas la même qu’au décès d’une personne adulte. «Elle serait plutôt équivalente à l’inaccomplissement des désirs et des rêves de la mère à l’endroit de son futur bébé, soutient-elle. C’est l’existence de fantasmes maternels quant à l’enfant à venir qui rend le deuil si difficile, car, pour la femme, l’attachement à l’enfant s’accompagne d’un fort investissement affectif qui débute bien avant la naissance.»

Dominique Nancy



 
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