Édition du 4 novembre 2002 / volume 37, numéro 10
 
  Témoignage
À la mémoire d’André Naud

À la fin juin décédait André Naud, prêtre de Saint-Sulpice, à l’aube de ses 76 ans. Le cancer qui le minait depuis quelques années n’avait que bien peu ralenti le cours de ses réflexions philosophiques et théologiques. Très nombreux sont ceux qui regrettent qu’un terme soit désormais fixé à cette pensée en constante évolution.

Après ses études doctorales en philosophie, il fut envoyé à Fukuoka, au Japon, pour y enseigner cette discipline, en japonais, langue qu’il avait appris à maîtriser. Pour des raisons de santé il dut rentrer au pays. Le concile Vatican II allait bientôt ouvrir sa deuxième session quand le cardinal Paul-Émile Léger l’invita à Rome en tant que conseiller personnel et comme membre de la Commission sur la foi. Cette expérience conciliaire fut déterminante pour l’orientation fondamentale de toute sa pensée, qui se développa pendant une trentaine d’années.

En 1967, à son retour du concile, la Faculté de théologie a tenu à l’intégrer à son corps professoral; il enseignera jusqu’en 1991, l’année de sa retraite. De nombreux étudiants ont pu tirer grand profit de sa vaste culture théologique, tout imprégnée d’humanisme, comme l’exigeait cette deuxième moitié du 20e siècle. Le Conseil supérieur de l’éducation du Québec lui confia la présidence de son comité catholique, où il exerça une influence remarquable et très appréciée grâce à son jugement sûr et à sa connaissance bien équilibrée de ce milieu. Il a livré sa pensée sur le monde de l’éducation dans deux ouvrages bien connus: L’esquive: l’école et ses valeurs, publié par le Service général des communications du ministère de l’Éducation en 1978, et La recherche des valeurs chrétiennes: jalons pour une éducation, paru chez Fides en 1985.

Il n’est pas exagéré de déclarer qu’il fut un très grand théologien, peut-être un des plus marquants depuis le concile Vatican II. Si son œuvre écrite n’est pas très abondante, elle demeure une référence pour tous ceux qui sont encore préoccupés par les grandes questions qu’il a débattues tout au long de sa carrière.

Un premier livre édité chez Fides en 1987 porte le titre quelque peu surprenant du Magistère incertain. Il nous livre ici le fruit de son expérience conciliaire sur un point central de la vie de l’Église, soit l’autorité de l’Église enseignante. Ayant vu cette autorité à l’œuvre, il montre clairement que, souvent, l’objet de cet enseignement n’a pas les degrés de certitude qu’on veut bien lui attribuer. Tout l’ouvrage est critique sur cette façon d’enseigner dans l’Église, en s’appuyant sur nombre de faits incontestables. Il était donc bien difficile de l’attaquer dans cette analyse de grande rigueur qui demeure néanmoins respectueuse.

Le deuxième ouvrage parut en 1996 encore chez Fides sous le titre Un aggiornamento et son éclipse: la liberté de la pensée dans la foi et dans l’Église. Si Vatican II avait été un moment fort de l’histoire récente de l’Église pour la libération d’une pensée critique dans la recherche de la vérité et dans la formulation de ses résultats, les années qui ont suivi sa conclusion furent trop souvent marquées par un retour sur ses anciennes pratiques. Dans un petit ouvrage qu’il publie au début de l’année 2002, Pour une éthique de la pensée épiscopale (Fides), il montre que tout croyant est en droit d’exiger du pape comme des évêques, dans l’exercice de leur fonction d’enseignement, les raisons claires qui les incitent à s’adresser ainsi à l’Église et les limites de l’adhésion attendue.

Son dernier ouvrage, qu’il considérait comme l’œuvre de sa vie de théologien, sortit des presses une semaine avant sa mort. Les dogmes et le respect de l’intelligence (Fides, 2002) est centré sur l’obligation d’adhérer au dogme, qui, par définition, est une exigence absolue, et la liberté de l’intelligence humaine, qui n’est pas moins absolue. Cette réflexion, il l’a poursuivie toute sa vie à la lumière de la pensée de la philosophe, théologienne et mystique juive Simone Weil, qui fut tentée par le christianisme, sans toutefois pouvoir entrer dans l’Église. «Il y a depuis le début, ou presque, un malaise de l’intelligence dans le christianisme», écrivait-elle dans Lettre à un religieux. Ce malaise est bien sûr provoqué par les dogmes de l’Église confrontés à la liberté et à la dignité de l’intelligence humaine. Nous sortons de la lecture de ce livre d’André Naud mieux éclairés sur la nature même du dogme. Nul doute que cet ouvrage trouvera une place de choix dans les débats théologiques des prochaines années.

Guy Couturier
Professeur émérite



 
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