Édition du 11 novembre 2002 / volume 37, numéro 11
 
  François Lalonde sur les traces de la relativité
La Chaire de géométrie différentielle et topologie s’attaquera à la théorie unifiée.

 

L’univers du professeur François Lalonde est peuplé de nombres complexes, de courbes pseudo-holomorphes et d’imaginaire… Car face à des problèmes difficiles à résoudre, il faut quelquefois ajouter plusieurs dimensions!  

La seule chaire au Canada consacrée à la géométrie différentielle et la topologie, une branche des mathématiques qui s’intéresse à ce que les physiciens appellent la théorie des supercordes, s’attaquera à l’une des plus grandes aventures intellectuelles de l’humanité: la théorie unifiée.

«Cette chaire a pour but de faire le pont entre deux traditions: les mathématiques pures et la mécanique classique et quantique», souligne son titulaire, François Lalonde, professeur au Département de mathématiques et de statistique.

Mathématicien et physicien de formation, ce lauréat d’une bourse Killam compte parmi les rares chercheurs de notre époque qui étudient les liens entre la quantité de mouvement, la position et la forme des objets dans le cadre complexe de la physique quantique. La chaire de recherche du Canada qu’il vient de se voir attribuer dispose d’un budget de un million de dollars sur cinq ans et lui permettra de continuer à perfectionner ses méthodes, qui ont fait école. Ses travaux ont notamment aidé à définir la structure mathématique des espaces topologiques en établissant le classement de ces derniers et en dégageant des conclusions fondamentales au sujet de leur stabilité et de leur rigidité.

Courbe = matière

Comme le dit le chercheur, les études sur les systèmes dynamiques de la géométrie différentielle (ou équations aux dérivées partielles) et la topologie ont marqué l’évolution des idées scientifiques au 20e siècle. «C’est qu’elles nous ont appris à “mathématiser” les problèmes subtils du comportement qualitatif des phénomènes. Par exemple, on peut grâce aux équations différentielles décrire la stabilité du système solaire. En fait, presque toute la physique théorique s’exprime à l’aide de la géométrie différentielle.»

Mais qu’est-ce que la géométrie différentielle et la topologie? «La dynamique générale d’un objet, qu’il s’agisse d’une planète ou d’un grain de poussière, est conditionnée à la fois par des propriétés locales de l’espace, comme la densité d’énergie présente, et par la forme générale de l’espace. Le premier principe est l’objet de la géométrie différentielle, le second celui de la topologie», explique le professeur Lalonde.

À partir de la relativité générale d’Einstein, «dont les fondements reposent sur les travaux de précurseurs comme Riemann et Gauss», il est possible de définir la géométrie locale de l’espace-temps associée à la présence d’une masse, par exemple la Terre. Rappelons que, selon la théorie einsteinienne, la gravitation n’est autre que l’effet de la courbure de l’espace qui découle de la présence de matière ou d’énergie. C’est cette courbure qui est responsable de la trajectoire suivie par les corps en mouvement, y compris la lumière.

À ce jour, on n’a jamais pu obtenir une version «quantique» de la relativité générale. Pour englober dans un schéma unique les quatre interactions fondamentales de la physique (interaction nucléaire faible, interaction nucléaire forte, électromagnétisme et gravitation), il faut arriver à donner une description microscopique de la gravitation, soit la traduire en quanta. Après des décennies d’échec, la théorie des supercordes ouvre une piste. Mais sa complexité mathématique est redoutable: il faut jongler dans des espaces à plusieurs dimensions, sans oublier les complications quantiques!

«On a du pain sur la planche», résume M. Lalonde, qui pourra compter sur l’aide de Tadashi Tokieda, un assistant de recherche de grand calibre, souligne le professeur. Il tient également à préciser que la théorie unifiée n’est pas le seul axe de recherche de la Chaire; elle constitue plutôt une application des travaux qui y seront entrepris. «On étudie surtout les systèmes hamiltoniens et la théorie de Jauge ainsi que la théorie des courbes complexes, avec des applications à l’hydrodynamique».

Un adepte de la littérature

François Lalonde a gardé l’allure d’un étudiant. Grand, mince, des yeux rieurs et vêtu d’un jeans lorsque Forum l’a rencontré, il ne correspond pas à l’image qu’on se fait du mathématicien. Lui-même ne s’attendait pas à poursuivre des études dans ce domaine. Mais il a eu la piqûre. «C’est à travers la relativité générale d’Einstein que j’ai découvert la beauté des mathématiques», raconte le chercheur, qui a fait un baccalauréat en physique à l’Université de Montréal avant d’étudier les mathématiques à Paris et aux États-Unis.

À 46 ans, il trouve toujours cette discipline aussi excitante. «La recherche en mathématiques pures est un secteur en pleine ébullition. Les applications sont non seulement très variées mais aussi concrètes. Prenez par exemple les travaux sur les équations algébriques, aussi appelées courbes elliptiques; elles ont une portée immédiate sur le commerce en ligne.»

Adepte de plein air et de littérature — sur sa table de chevet, en ce moment, Orlando, de Virginia Woolf, et les Passions intellectuelles, d’Élisabeth Badinter —, le professeur Lalonde a enseigné à l’Université de Paris-Orsay et à l’Université du Québec à Montréal. L’ampleur et la diversité de ses activités l’ont conduit à la tête de l’Institut des sciences mathématiques et du Centre interuniversitaire de recherche en géométrie différentielle et en topologie, organismes où il a assumé les fonctions de directeur jusqu’en 2000.

Au Département de mathématiques et de statistique, il travaille également à la restructuration des programmes et à donner une visibilité internationale à son unité.

Dominique Nancy



Les mots plus puissants que les équations?

Descartes disait que Dieu avait écrit le monde en formules mathématiques. Car le langage mathématique permet de faire ressortir une unité dans le fonctionnement de la nature. Cette discipline favorise également la définition de concepts, ce que le langage ordinaire ne permet pas de faire. Pour comprendre l’infiniment petit et l’infiniment grand, qui sont inaccessibles à nos sens, le langage de la vie courante n’est plus adapté, la logique en jeu n’étant plus celle de la vie quotidienne.

Mais pour François Lalonde, professeur au Département de mathématiques et de statistique, la pensée mathématique est étroitement liée à la langue. Il affirme même que «les mots sont parfois plus puissants que les équations». À son avis, il est nécessaire d’expliquer avec des mots les équations algébriques afin de pouvoir les conceptualiser et les résoudre. «Géométriser le problème est une étape d’écriture sans laquelle on ne pourrait pas apporter de solutions aux équations complexes.»

Sans crier au scandal, il déplore le manque de connaissances scientifiques des étudiants, dont une partie des difficultés en mathématiques vient, croit-il, de celles qu’ils ont à conceptualiser clairement les choses dans le langage courant. «L’usage de la langue est fondamental en mathématiques.»

D.N.




 
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