Édition du 18 novembre 2002 / volume 37, numéro 12
 
  De garde-malade à infirmière… à docteure en sciences infirmières
La Faculté des sciences infirmières a 40 ans.

 

Dans l’ordre habituel, les historiennes Esther Lamontagne et Yolande Cohen, de l’UQAM, la doyenne Christine Colin, la vice-doyenne Jacinthe Pépin et le professeur André Duquette. 

«Redondance des programmes, peu d’analyse scientifique, pédagogie assommante», déplore un rapport de Camille Laurin et de Gabrielle Charbonneau sur l’enseignement donné aux gardes-malades en 1961.

De plus, selon eux, la formation en soins infirmiers comporte trop de cours de religion. Il est temps de retirer les Sœurs grises de l’enseignement et de créer une véritable faculté universitaire. C’est chose faite en 1962. La Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal a 40 ans cette année.

D’après Yolande Cohen, spécialiste de l’histoire des femmes, qui signe avec trois collaborateurs une histoire des sciences infirmières au Québec, il ne faut pas négliger la place prépondérante occupée par les Sœurs grises dans l’évolution de cette discipline. «Elles ont acquis une expertise sans pareille, notamment en soins infirmiers et en gestion d’hôpitaux, et c’est à elles que nous devons les premiers cours à l’Université de Montréal, dès les années 20», affirme-t-elle.

Déjà au début du siècle, les religieuses démontrent un tel dynamisme que leurs consœurs du reste du Canada les envient, en particulier pour ce qui est de leur autonomie et de leur stabilité. En témoigne la création, en 1920, de l’Association des gardes-malades enregistrée de la province de Québec, calquée sur le modèle américain. Puis, avec l’arrivée de la School of Graduate Nurses de l’Université McGill, les Sœurs grises seront peu à peu dépassées. C’est en faisant valoir l’argument du retard à rattraper sur les écoles anglo-protestantes qu’elles obtiendront l’aval de l’archevêché pour implanter une faculté universitaire affiliée à l’Université de Montréal.

Cette faculté voit le jour en 1962 grâce à l’annexion de l’institut Marguerite-d’Youville, que les Sœurs grises ont mis sur pied pour assurer la formation des infirmières dans les hôpitaux, et de l’École d’hygiène sociale appliquée, qui accueille des infirmières depuis 1925 (intégrée à la Faculté de médecine en 1940).

L’entrée des femmes à l’université

Ainsi, c’est grâce aux sciences infirmières que les femmes ont pu faire leur entrée dans le monde universitaire. Pendant quatre décennies, de 1940 à 1980, c’est dans ce secteur qu’on observe le plus fort contingent de femmes à l’université. «On peut dire des infirmières qu’elles ont ouvert la voie de l’université à un bon nombre d’autres femmes et qu’elles ont fourni un des premiers modèles de carrière académique féminine», écrivent les auteurs de l’ouvrage Les sciences infirmières: genèse d’une discipline, qui vient de paraître aux Presses de l’Université de Montréal.

La création de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal aura d’ailleurs un effet d’entraînement notable: l’Université Laval instaure en 1967 son école des sciences infirmières; la School of Graduate Nurses de l’Université McGill devient la School of Nursing; différentes composantes de l’Université du Québec (à Trois-Rivières, Chicoutimi, Rimouski, Hull et Abitibi-Témiscamingue) offrent des programmes de perfectionnement à partir des années 70.

Yolande Cohen, elle-même professeure au Département d’histoire de l’UQAM, reconnaît que le rôle joué par l’Université de Montréal dans le rayonnement des sciences infirmières au Québec a été capital. «Le débat sur l’autonomie de la profession n’est pas terminé, car aucune profession du système de santé n’est totalement indépendante des autres, mais il faut admettre que les sciences infirmières sont aujourd’hui une entité distincte des facultés de médecine dans les universités francophones; et cela, on le doit beaucoup à l’UdeM», rappelle-t-elle.

Une faculté de femmes

Jusqu’à l’arrivée de Mireille Mathieu au décanat de la Faculté des arts et des sciences, dans les années 90, un seul poste de doyen avait été occupé par une femme à l’Université de Montréal: celui de la Faculté des sciences infirmières. Depuis, on ne s’étonne plus d’accorder au féminin le prestigieux titre. Chez les étudiants, les femmes sont majoritaires dans tous les programmes d’études médicales et paramédicales. Cette prédominance est appréciable, mais Mme Cohen s’interroge sur le fait que la profession demeure à 90 % composée de femmes.

«Comment expliquer que la médecine se soit féminisée et que les soins infirmiers soient demeurés un bastion féminin? La mixité de la profession est éminemment souhaitable et pourtant les hommes ne semblent pas désireux d’en faire partie.»

Cela s’explique en partie, bien entendu, par des conditions de travail difficiles et par des salaires qui n’offrent pas toujours une compensation intéressante. C’est que les gardes-malades ont longtemps été considérées comme des personnes disposées à donner le meilleur d’elles-mêmes sans attendre grand-chose en retour. Un discours très fort, et encore présent de nos jours, veut en effet que l’infirmière soit d’abord et avant tout une femme.

«Ce discours, largement répandu par les pionnières, se retrouve également véhiculé par des médecins et des administrations hospitalières, écrivent les auteurs de Genèse d’une discipline; on y présente l’infirmière comme une mère dévouée à ses patients et à ses enfants (virtuels, car elle est célibataire), attentive à exécuter les ordres du médecin. Les qualités requises de l’infirmière font appel à la “conaturalité” des tâches de soins personnels au patient (maternage, entretien, etc.) et des attributs féminins (patience, gentillesse, attention, etc.).»

L’ouvrage résulte de la rencontre de deux historiennes (Mme Cohen et Esther Lamontagne) avec deux spécialistes des sciences infirmières (Jacinthe Pépin et André Duquette) et constitue donc un travail interdisciplinaire.

Mathieu-Robert Sauvé

Yolande Cohen et coll., Les sciences infirmières: genèse d’une discipline, Presses de l’Université de Montréal, 2002, 334 p., 29,95 $.




 
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