Édition du 18 novembre 2002 / volume 37, numéro 12
 
  Les hauts et les bas du prix de l’essence
Selon Alain Lapointe, les fluctuations ne feraient que répondre aux lois du marché.

 

Le professeur Alain Lapointe 

Qu’est-ce qui se vend au litre et qui change de prix selon le jour de la semaine et le côté de la rue où vous vous trouvez? L’essence, bien entendu.

Les fluctuations du prix de l’essence suscitent suffisamment de polémique au Québec pour avoir justifié un article dans L’annuaire du Québec 2003. Sous la signature d’Alain Lapointe, professeur à HEC Montréal, l’article cherche à clarifier les causes de ces fluctuations tout aussi imprévisibles que celles de la météo.

Les chiffres du professeur Lapointe montrent que le prix moyen du litre d’essence pour le mois de mai 2001 était de 84,5 ¢ à Montréal et qu’il est passé à 69,3 ¢ au cours du même mois en 2002. On pourrait penser que la tendance est à la baisse, mais, selon Alain Lapointe, c’est le prix de 2001 qui était anormalement élevé, et ceci, à cause de la marge de profit exceptionnelle des raffineries à cette époque. Cette marge était de 11,2 ¢ le litre en mai 2001 et elle est tombée en bas de la moyenne annuelle en mai 2002, soit à 4,2 ¢.

À cette dernière date, le coût du pétrole brut représentait 26,7 ¢ du prix à la consommation alors que le détaillant empochait un profit de 2,6 ¢ le litre. Le reste, soit 35,8 ¢, était composé de taxes: taxes d’accise, TPS, taxes provinciales sur l’essence, TVQ et taxes municipales. Les taxes constituaient 51 % du prix de vente à la pompe.

Collusion ou effet de la concurrence?

Mai 2001 ne représente pas un plafond puisque le prix de l’essence a atteint 90 ¢ au cours de cette année-là. Cette flambée avait d’ailleurs entraîné un mouvement de boycottage au Lac-- Saint-Jean. Selon Alain Lapointe, qui a été consultant pour l’Institut canadien des produits pétroliers en 1998, ce type de stratégie est totalement inefficace.

«Cela peut faire mal pour un temps à une pétrolière, mais ce sont les autres qui en profitent, a-t-il confié à Forum. Il y a également un coût pour le consommateur, obligé de s’approvisionner plus loin ou de se priver d’essence.» C’est sans doute pourquoi le mouvement n’a pas fait long feu.

Mais ce qu’Alain Lapointe rejette surtout dans cette réaction, c’est l’interprétation qu’elle suppose. «Le boycottage repose sur la croyance que les pétrolières sont de mèche pour manipuler les prix. Il est faux de penser ainsi, affirme-t-il. Il y a trois ou quatre ans, le Bureau de la concurrence, à Ottawa, a mené une enquête pour vérifier s’il y avait collusion entre les pétrolières et il n’a rien trouvé de contraire à la loi. Le gouvernement fédéral a commandé une autre étude au Conference Board il y a un an et demi et la conclusion a été la même.»

Pour le professeur, la variation des prix reflète tout simplement les lois d’un marché où la concurrence est vive. Une hausse des prix sera suivie par l’ensemble des détaillants si celui qui l’amorce est considéré comme un leader sur le marché. Une baisse sera aussi rapidement suivie par les concurrents, qui voudront préserver leur part de marché. C’est précisément ces réactions rapides et convergentes qui, à son avis, donnent aux consommateurs l’impression d’une concertation entre les pétrolières.

Volume de vente et taxes

À la base des fluctuations en dents de scie se trouve évidemment le prix du brut, principal responsable des flambées du prix de l’essence. Une variation de un dollar le baril entraîne une variation de un cent le litre à la pompe. «Certains distributeurs vont modifier leur prix la journée même du changement du prix du brut et d’autres pourront attendre quelques jours», souligne Alain Lapointe. À peine quelques heures après l’annonce de l’acceptation par l’Irak de la recommandation de l’ONU, le prix du baril avait chuté de 70 ¢ sur le marché nord-américain.

L’autre élément déterminant est le volume de vente de chaque station; plus le volume est gros, plus la station est performante et plus le prix de l’essence devrait être bas. C’est dans les grands centres urbains que ce facteur devrait jouer le plus. Pourtant, le prix est bien souvent plus haut à Montréal que dans les régions. Selon le professeur Lapointe, cette situation serait notamment due aux taxes municipales, plus élevées à Montréal qu’en province.

Quant aux variations qui semblent suivre un rythme hebdomadaire synchronisé, elles seraient liées au fait que les détaillants appliquent tout simplement la même politique fondée sur l’offre et la demande: les prix augmentent le jeudi et le vendredi parce que la demande est plus forte avec l’arrivée de la fin de semaine. «Les enquêtes n’ont pas révélé de collusion de ce côté non plus», déclare Alain Lapointe.

Alors que le prix du régulier augmente le jeudi, le super est pour sa part vendu au rabais. «C’est que la marge de profit est plus grande sur le super que sur le régulier, même lorsque le prix du super est abaissé, et les distributeurs veulent attirer plus d’automobilistes vers cette essence», explique le professeur.

Contrôle des prix

À ces éléments s’ajoute la rationalisation du réseau de distribution, amorcée dans les années 80. La faible croissance de la demande a amené les distributeurs à fermer un grand nombre de stations-services et à ajouter des dépanneurs et des restaurants aux stations restantes. Cette consolidation du marché est censée exercer un effet à la baisse sur le prix de l’essence et expliquerait en partie pourquoi le prix est plus faible à Toronto (4 ¢ de moins qu’à Montréal en mai 2002), où cette restructuration est plus avancée.

La restructuration du marché a également amené les grandes pétrolières à jouer à fond les règles de la concurrence en garantissant des prix aussi bas que n’importe quel compétiteur. La guerre des prix a culminé lorsque Ultramar a affiché des prix de vente inférieurs au prix coûtant en 1996. Les indépendants ont alors accusé les grandes pétrolières de chercher leur disparition et ont demandé au gouvernement d’intervenir.
«La Régie de l’énergie a alors établi la marge de profit minimale du détaillant à 3 ¢ le litre, mais elle a refusé d’imposer cette mesure, sauf à Québec et à Saint-Jérôme», souligne Alain Lapointe. À Saint-Jérôme, la décision a été motivée par l’entrée en scène de Costco, qui avait fait chuter la marge de profit des détaillants à 1,21 ¢ le litre.

Le professeur Lapointe ne croit pas à la nécessité d’un tel contrôle des prix. «L’argument justifiant une telle intervention est qu’il faut assurer la survie des détaillants indépendants pour éviter que les grandes pétrolières utilisent les profits du raffinage afin d’abaisser le prix à la pompe et mettent fin à la concurrence. Ceci est indéfendable, soutient-il, parce que la concurrence potentielle existera toujours; n’importe quelle entreprise peut investir le marché de la vente de l’essence. Sur une période de 10 ans, la marge de profit du raffinage, qui n’a rien d’excessif, a d’ailleurs diminué.»

Selon le professeur, il y aurait même eu plus de propriétaires affiliés aux grandes pétrolières qui ont disparu que de propriétaires indépendants.

En somme, le consommateur québécois, toujours selon Alain Lapointe, est «relativement bien servi» par un marché concurrentiel «qui lui assure des prix compétitifs».

Comme le dit une publicité de voiture à faible consommation: «Y en a pas de problème»...

Daniel Baril




 
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