Édition du 25 novembre 2002 / volume 37, numéro 13
 
  On s’est déjà vus quelque part?
Notre cerveau serait doté d’un module propre à la reconnaissance des visages.

 

Les travaux d’Isabelle Boutet montrent que le système d’encodage, qui permet la reconnaissance des visages, est moins performant chez les personnes âgées. 

Les gens âgés, comme chacun le sait, éprouvent souvent de la difficulté à reconnaître des personnes qu’ils connaissent pourtant bien et qu’ils ont parfois même côtoyées toute leur vie. Cette difficulté ne serait pas due uniquement à des pertes de mémoire, mais pourrait découler d’un problème dans l’encodage de l’information permettant de différencier les visages.

C’est ce que montrent les travaux d’Isabelle Boutet, chercheuse postdoctorale au Laboratoire de psychologie de la perception à l’École d’optométrie, dirigé par le professeur Jocelyn Faubert.

L’identification d’un visage serait assurée grâce à un système neurologique spécialement destiné à cette tâche. «C’est une hypothèse qui se confirme de plus en plus, souligne la chercheuse. On sait par exemple que certaines lésions du cerveau entravent uniquement la reconnaissance des visages. Dans de tels cas, toutes les fonctions cognitives du sujet demeurent intactes, mais il est incapable de reconnaître quiconque autour de lui. C’est ce qu’on appelle la prosopagnosie. Ceux qui en souffrent sont parfois même incapables de se reconnaître dans un miroir.»

Cette dysfonction a notamment été décrite par le neurologue Oliver Sacks dans son célèbre ouvrage L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau.

L’imagerie cérébrale montre également que les cellules qui s’activent lorsqu’on présente un visage à un sujet ne sont pas les mêmes que celles qui entrent en fonction dans l’identification d’un objet.

 
 

Le visage inversé de Margaret Thatcher paraît plus naturel lorsque ses yeux et sa bouche sont présentés à l’endroit, ce qui montre que le cerveau recourt à des détails de configuration pour reconnaître des visages. L’exemple montre aussi que les yeux et la bouche sont des repères déterminants dans la reconnaissance d’un visage. 

L’existence probable d’une habileté innée propre à la reconnaissance des visages n’étonne pas Isabelle Boutet. «Reconnaître un visage est une tâche complexe puisque tous les visages présentent des similitudes et qu’il faut parvenir à les individualiser, souligne-t-elle. Cette fonction est essentielle aux interactions sociales: reconnaître ceux qui nous entourent, savoir où et quand nous les avons vus, comprendre l’expression des émotions. L’analyse fonctionnelle du visage est donc très différente de l’analyse d’un objet.»

Distinguer deux types de chaises, par exemple, peut se faire à partir d’un élément précis ou d’une caractéristique saillante, mais cette façon de faire ne tient plus quand il s’agit de différencier les visages parce que ceux-ci sont habituellement trop homogènes entre eux. Notre cerveau les distinguerait plutôt par l’analyse holistique, qui fait appel à la configuration globale incluant la distance entre les yeux, leur hauteur, le contour et la dimension de la bouche, la hauteur du nez, etc. De tous ces points de repère, les plus déterminants seraient la configuration des yeux, puis celle de la bouche.

Les tests qu’utilise Isabelle Boutet montrent par ailleurs qu’il est plus difficile de reconnaître un visage inversé qu’un objet inversé. Ceci s’expliquerait par le fait que notre cerveau perd ses repères devant un visage inversé, ce qui tend également à confirmer l’existence d’un module spécifique aux visages. Par contre, l’inversion d’un objet n’empêche pas de retrouver la caractéristique saillante qui nous a permis de le distinguer parmi d’autres.

Personnes âgées

Isabelle Boutet a voulu mettre ces connaissances à profit pour mieux comprendre les difficultés qu’éprouvent les personnes âgées à reconnaître les gens de leur entourage.

On n’avait jamais vérifié jusqu’ici si la première étape de l’identification des visages, soit l’encodage de l’information, était touchée ou non. On n’avait jamais vérifié non plus si les capacités des personnes âgées étaient amoindries de la même façon lorsqu’il s’agit de reconnaître des visages ou des objets.

Les travaux d’Isabelle Boutet montrent que les aînés, sans troubles de mémoire ni de perception, s’en remettent davantage à des repères locaux qu’à la configuration globale pour reconnaître un visage.

Si on leur présente un visage dédoublé dont on a remplacé les yeux par ceux d’une autre personne, les gens âgés n’éprouvent pas plus de difficulté à repérer la différence si le visage est à l’envers ou à l’endroit. Mais si l’on conserve les mêmes yeux et qu’on modifie plutôt leur configuration — comme leur hauteur —, ils performent de la même façon, que le visage soit inversé ou à l’endroit, alors que les jeunes trouvent plus difficilement la différence de configuration lorsque le visage est inversé.

«Ceci démontre que les personnes âgées recourent à des repères plus locaux que globaux qui ne sont pas altérés par l’inversion», en conclut la chercheuse. Dans le second exercice, la différence de configuration des yeux modifie l’aspect général du visage, mais ce sont les mêmes yeux. «Le processus de reconnaissance se rapprocherait donc de celui utilisé pour reconnaître un objet, c’est-à-dire qu’il semble s’appuyer sur une stratégie plus locale que globale», croit Isabelle Boutet.

Ces travaux montrent en outre que le processus de reconnaissance des visages chez les personnes âgées est touché dès le début, c’est-à-dire au moment de l’encodage de l’information, et que leurs difficultés à reconnaître quelqu’un ne reposent pas uniquement sur une défaillance de la mémoire.

Daniel Baril





 
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