Édition du 2 décembre 2002 / volume 37, numéro 14
 
  Mode de scrutin: pour une proportionnelle à l’allemande
André Blais et Louis Massicotte défendent le modèle allemand devant la Commission des institutions de l’Assemblée nationale.

 

«Il n’est pas bon pour la démocratie que l’opposition soit écrasée», affirme Louis Massicotte. 

On en a parlé abondamment à la fin des années 70, le sujet est ensuite tombé dans l’oubli avant de resurgir de façon inattendue au début de 2002. Et cette fois, ce n’est pas une mais deux commissions parlementaires qui se penchent simultanément sur la réforme du mode de scrutin (voir l’encadré page suivante).

Le 14 novembre dernier, la Commission des institutions amorçait une consultation publique sur cette question en invitant quatre experts, les professeurs du Département de science politique Louis Massicotte et André Blais et deux autres enseignants de l’Université Laval. Bien que chacun ait livré ses propres analyses, les quatre politologues se sont tous montrés d’accord pour recommander le modèle en vigueur en Allemagne, c’est-à-dire un scrutin proportionnel mixte.

Dans ce type de scrutin, une partie des députés sont élus en tant que députés de circonscription, exactement comme dans le modèle que nous connaissons. L’autre portion des sièges est attribuée aux partis dont le nombre d’élus est inférieur à ce à quoi ils auraient droit en fonction du suffrage exprimé, ceci afin de corriger les distorsions du système à majorité simple. À cette fin, chaque parti dresse une liste de candidats, appelés députés de liste, qui seront invités, le cas échéant, à rejoindre les rangs des élus.

En Allemagne, un parti doit récolter au moins cinq pour cent des voix pour avoir droit à des députés de liste. La loi électorale encadre le processus d’établissement de cette liste afin que celui-ci se déroule de façon démocratique. Par ailleurs, un député de liste peut aussi se présenter en tant que candidat de circonscription; il peut ainsi participer activement à l’élection et éviter d’être perçu comme un arriviste s’il obtient un siège de liste après une défaite électorale. Son budget lui permet en outre d’ouvrir un bureau de comté.

Éviter les fausses victoires

Selon Louis Massicotte, ce mode de scrutin éviterait les aberrations des systèmes électoraux québécois et canadien qui peuvent transformer une victoire en défaite. Au Québec, cette situation s’est présentée à trois reprises depuis 1944 et serait survenue une quatrième fois si le référendum de 1995 avait été une élection. Le cas le plus patent demeure celui de l’élection de 1998, où le Parti libéral a remporté 27 000 voix de plus que le Parti québécois mais s’est retrouvé avec 28 sièges de moins.

De plus, la proportionnelle mixte écarterait le danger d’une trop forte majorité. «Il n’est pas bon pour la démocratie que l’opposition soit écrasée», affirme Louis Massicotte. À son avis, un parti peut très bien gouverner avec 55 % des sièges. Au-delà de ce taux, il paraît moins important que le nombre de sièges du parti au pouvoir reflète la majorité réelle. «La démocratie et le public peuvent être mieux servis par une opposition forte que par un parti occupant les deux tiers des sièges», affirme-t-il.

 

André Blais 

Pour André Blais, un des avantages de la proportionnelle mixte réside dans le fait de pouvoir voter séparément pour un candidat et pour un parti. Le bulletin de vote allemand comprend en effet deux sections, l’une pour le choix du candidat et l’autre pour le parti; le vote pour le parti sert à déterminer le nombre de sièges auquel celui-ci aura droit. Comme au Québec et au Canada, c’est le chef du parti ou de la coalition qui remporte le plus de voix qui devient le chef d’État.

Pour simplifier le processus, Louis Massicotte serait plutôt favorable à ce que tout ne se fasse que par un seul vote, l’appartenance du candidat servant alors à déterminer le nombre de suffrages remportés par le parti.

 Les deux politologues s’entendent toutefois pour fixer le nombre de députés de circonscription à 75 et celui des députés de liste à 50, ce qui maintiendrait le total de 125 députés que nous connaissons actuellement. Il faudrait toutefois réduire le nombre de circonscriptions, ce qui pourrait être fait en se fondant sur la carte électorale fédérale, qui justement comprend 75 circonscriptions.

Pas de miracle

Il ne faudrait pas croire que la proportionnelle constitue la solution magique à tous les vices de la démocratie et du système parlementaire. «Il n’y a pas de miracle à en attendre au-delà d’une meilleure représentativité de la volonté populaire», souligne Louis Massicotte.

La proportionnelle n’apparaît pas aux experts comme le gage d’une meilleure gestion, pas plus qu’elle n’entraînerait l’instabilité politique. Si elle suscite généralement une participation populaire supérieure de trois ou quatre pour cent à celle enregistrée dans les systèmes à majorité simple, la proportionnelle n’a toutefois pas empêché le désabusement du public à l’égard du processus électoral ou de la politique en général, selon ce qu’a observé Anne-Marie Grenier dans une recherche de maîtrise.

Par ailleurs, si l’on cherche à faire entrer au Parlement les tiers partis qui autrement n’auraient aucune chance d’y accéder, le minimum de cinq pour cent des voix demeure pour eux un obstacle majeur. «Au Québec, un parti vert pourrait tout de même finir par atteindre ce seuil à moyen terme», estime André Blais.

Pour Louis Massicotte, un seuil minimal demeure essentiel afin d’éviter la prolifération des partis.

Selon les deux politologues, la conjoncture n’a jamais été aussi favorable à une telle réforme. Les trois partis à l’Assemblée nationale ont inscrit ce mode de scrutin à leur programme politique et les membres de la Commission des institutions se sont montrés des plus réceptifs à l’idée. Une conjoncture qui pourrait toutefois changer au lendemain de la prochaine élection.

Daniel Baril


Deux consultations valent-elles mieux qu’une?
La Commission des institutions, devant laquelle les professeurs Massicotte et Blais se sont présentés, est une des 10 commissions parlementaires permanentes de l’Assemblée nationale. C’est de sa propre initiative que cette commission a entamé cet automne des travaux sur la réforme du mode de scrutin et non à la demande de l’Assemblée nationale. Elle doit lancer sous peu une consultation itinérante qui prendra fin à la mi-février.
Toujours cet automne, le ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques, Jean-Pierre Charbonneau, amorçait une autre consultation publique cette fois sur l’ensemble de la problématique de la gouvernance au Québec, qui inclut bien sûr le processus électoral. Cette consultation a débuté avec une commission itinérante qui siégeait d’ailleurs à l’Université de Montréal la journée même où l’autre commission recevait les politologues de l’UdeM à Québec.
La consultation du ministre Charbonneau comprendra les États généraux sur la gouvernance démocratique, qui commenceront l’hiver prochain.
La tenue simultanée de deux consultations sur le même thème n’est pas sans créer de confusion. Trop est parfois trop peu et Louis Massicotte ne cache pas sa crainte que la réforme du mode de scrutin soit noyée dans l’ordre du jour chargé de la réforme des institutions.
D.B. 



 
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