Édition du 2 décembre 2002 / volume 37, numéro 14
 
  Mythes et réalités de la marijuana en médecine
Le Dr Roger Ladouceur remet les pendules à l’heure.

 

Le Dr Roger Ladouceur 

Mario Brazeau, 47 ans, souffre d’un cancer avancé de la gorge. Ancien fumeur de pot, il a entendu dire que la marijuana pourrait soulager sa douleur et il aimerait avoir l’opinion de son médecin. Entre-temps, il visite le site Internet de Santé Canada et y déniche un formulaire qui l’autorise à fumer du pot sur prescription médicale… Que doit faire le clinicien?

«L’utilisation de la marijuana remonte probablement à la nuit des temps. Quels en sont les mythes et les réalités en médecine? J’ai eu envie de faire le tour de la question une fois pour toutes», lance le Dr Roger Ladouceur, omnipraticien au Centre hospitalier Angrignon (pavillon Verdun) et directeur adjoint de la formation professionnelle continue à la Faculté de médecine.

 Au terme d’une synthèse de la littérature scientifique sur le sujet, le médecin a constaté qu’un très petit nombre d’études significatives portaient sur les vertus thérapeutiques du pot. Il les a tout de même analysées une à une. Conclusion: la marijuana est, au mieux, aussi efficace que les médicaments connus et éprouvés, mais elle comporte dans la plupart des cas des effets secondaires trop importants pour être considérée comme équivalente aux autres médicaments. «Je ne dis pas que la marijuana est inefficace. Je dis qu’il n’est pas démontré scientifiquement qu’elle offre un intérêt supérieur aux médicaments vendus sous ordonnance», nuance le médecin.

«La marijuana a des valeurs thérapeutiques, écrivait pourtant une éditorialiste de La Presse, Michèle Ouimet, le 16 mars 2001. Elle soulage les nausées, stimule l’appétit, réduit les douleurs et la fréquence des crises d’épilepsie.»

Où est-elle allée chercher ces renseignements? Probablement dans la surenchère verbale qui a accompagné l’arrestation des responsables du club Compassion, au printemps 2001. Le médecin attribue d’ailleurs aux médias les mythes qui entourent les vertus thérapeutiques de la marijuana, à la fois dans la classe politique et parmi le public. «Les médias ont présenté comme scientifiquement démontré un phénomène qui est loin de faire l’unanimité dans la communauté médicale», déclare le Dr Ladouceur.

Trois effets étudiés

La vingtaine d’études cliniques analysées par le Dr Ladouceur (dont la plupart remontent à plus de 20 ans, faute de données récentes) ont porté sur trois prétendues propriétés de la marijuana: analgésiques, antiémétiques et anticachexie.

Ce sont les effets analgésiques qui sont les plus souvent cités. On prête à cette «drogue douce» des vertus antidouleur, notamment chez des personnes atteintes de cancer. Or, «les preuves scientifiques à l’appui de ces affirmations sont excessivement rares», indique le Dr Ladouceur. Seulement huit études significatives se sont penchées sur cet effet, dont cinq étaient comparatives. La plupart ne sont pas concluantes.

Au cours d’une expérience menée en 1981 sur 16 fumeurs de pot, la drogue a eu le contraire de l’effet attendu. Exposés à des stimulus thermiques, les sujets de recherche qui fumaient de l’herbe ont ressenti la douleur avec plus d’acuité que les non-fumeurs. «Les auteurs concluent que, chez les fumeurs modérés, la marijuana pourrait avoir un effet hyperalgésique et augmenter la perception de la douleur», fait remarquer le médecin.

D’indéniables succès ont été obtenus du côté des effets antiémétiques (ou anti-vomissements) de la marijuana. Toutefois, les sujets rapportent un plus grand nombre d’effets secondaires qu’avec leurs médicaments habituels: difficulté à se concentrer, diminution des interactions sociales, perte d’énergie.

Chez les sidéens, plusieurs croient que le pot stimule l’appétit, contrant ainsi la cachexie (état de fatigue et d’amaigrissement) qui les guette. Encore là, le Dr Ladouceur déplore le petit nombre d’études fiables sur le sujet, mais il rapporte tout de même des résultats positifs pour trois études. Ces succès, bien que modestes, expliquent pourquoi la Food and Drug Administration a approuvé la prescription de comprimés de THC (ou delta-9-tétrahydrocannabinol, la substance psychoactive) en 1992. On les trouve sur le marché américain et au Canada sous le nom commercial de Marinol. Mais, pour le Dr Ladouceur, la preuve n’est pas complète.

Du THC à la pharmacie

«Le plus aberrant dans toute cette histoire, c’est que le principal agent actif de la marijuana, le THC, et l’un de ses dérivés synthétiques cannabinoïdes font partie de la pharmacopée moderne et peuvent être prescrits en toute légalité par n’importe quel médecin qui le juge approprié», signale le Dr Ladouceur en conclusion. Le dronabinol et le nabilone (vendus sous leurs noms commerciaux de Marinol et Cesamet) contiennent en effet des dérivés du cannabis. Ils sont indiqués pour le traitement des vomissements et nausées sévères associés à la chimiothérapie anticancéreuse.

Le conférencier a affirmé qu’il n’était pas en croisade contre les fumeurs de pot. Il s’est dit au contraire très ouvert à une nouvelle piste thérapeutique. Malheureusement, son analyse a révélé plus de mythes que de réalités.

Cela dit, lorsque les médecins présents dans la salle ont été invités à donner leur avis sur le cas présenté au début de cet article, ils ont voté dans une écrasante majorité (88 %) en faveur de la prescription du «petit joint» réclamé par Mario Brazeau. Interviewé en marge de la conférence, le Dr Ladouceur lui-même a avoué qu’il avait signé la prescription. Car c’était un cas réel.

Contradiction? Pas vraiment, a-t-il répondu. Si le patient est convaincu que la marijuana peut lui faire du bien, il vaut mieux lui accorder cette faveur. Il faut bien vivre avec son temps.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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