Édition du 9 décembre 2002 / volume 37, numéro 15
 
  La violence de l’inceste
L’inceste entre frère et sœur n’est pas moins traumatisant que celui entre père et fille.

 

«Il faut cesser de minimiser les conséquences de l’inceste entre frère et sœur», affirme Mireille Cyr. 

On croyait jusqu’ici que l’inceste entre un frère et une sœur était moins grave que celui commis par le père sur sa fille. Une recherche de Mireille Cyr, professeure au Département de psychologie, vient de montrer que, dans l’un et l’autre cas, les gestes de l’agresseur sont de même nature et que le traumatisme est tout aussi grave pour la victime.

L’idée qu’une agression sexuelle commise par un frère laisse moins de séquelles que celle d’un père ou d’un beau-père proviendrait d’études rétrospectives menées auprès de victimes adultes ou d’étudiants. Chez ces derniers, les cas rapportés faisaient souvent état de caresses et apparaissaient moins graves.

L’étude de Mireille Cyr a plutôt porté sur des cas signalés à la Protection de la jeunesse et qui sont généralement plus lourds. Elle a analysé les deux types d’inceste en comparant la situation de victimes du même âge. Chaque cas, par exemple, d’enfants âgés de cinq ans victimes de violences sexuelles de la part d’un frère a été jumelé à un cas où une victime du même âge a été agressée par son père et à un second cas de victime agressée par son beau-père.

Plus de gestes envahissants

Dans l’ensemble, les résultats révèlent que l’inceste commis par les frères ne se distingue pas de celui des pères et beaux-pères en ce qui concerne l’usage de la violence, les touchers sexuels ou l’âge de la victime.
L’âge moyen des fillettes, lorsque les gestes incestueux ont débuté, est de 8 ans et l’âge moyen des adolescents agresseurs est de 14 ans.

Toutefois, les adolescents agresseurs posent plus de gestes «envahissants» que les pères et beaux-pères. Près de 71 % des frères ont pratiqué une forme ou l’autre de pénétration contre 35 % des pères et 27 % des beaux-pères. Ces pénétrations ont pu être infligées avec un doigt, un objet ou le pénis et être vaginales ou anales.

La durée des agressions que les frères ont commises est du même ordre que celle des agressions perpétrées par les pères, soit un peu plus de deux ans, alors qu’elle est d’environ un an et demi pour les beaux-pères. Par contre, plus de 36 % des frères ont récidivé, contre 30 % des pères et 21,7 % des beaux-pères.

L’étude renverse une autre croyance selon laquelle les gestes seraient moins graves lorsque l’écart d’âge entre un frère incestueux et sa sœur est inférieur à cinq ans. «Les mêmes gestes sont accomplis, quelle que soit la différence d’âge, même si le garçon a tendance à choisir la plus jeune de ses sœurs», indique Mireille Cyr.

Sur le plan psychologique, les symptômes rapportés par les victimes sont du même type, peu importe l’agresseur: anxiété, dépression, stress post-traumatique, préoccupations sexuelles et colère. Les séquelles sont tout aussi sévères, voire davantage, lorsque l’inceste est commis par un frère: 91,7 % des victimes de frères incestueux présentent un symptôme cliniquement significatif — c’est-à-dire nécessitant une intervention — contre 88,7 % des victimes de pères agresseurs et 63,6 % des victimes de beaux-pères.

Selon la chercheuse, «ces résultats remettent en question la croyance voulant que l’inceste commis par les frères soit moins lourd que celui des pères. Toutes les situations ne sont pas aussi graves que celles que nous avons analysées, mais il faut cesser de minimiser les conséquences de l’inceste entre frère et sœur, une réalité par ailleurs quantitativement sous-estimée.»

Et si les données paraissent moins négatives lorsque l’inceste est commis par un beau-père plutôt que par le père, c’est que le beau-père est en général moins longtemps en contact avec la jeune fille, estime Mireille Cyr.

Les milieux familiaux des trois types d’inceste comparés présentent les mêmes caractéristiques: milieu économiquement défavorisé et parents peu scolarisés aux prises avec des problèmes d’alcool. L’inceste frère-sœur survient par ailleurs plus souvent dans les familles nombreuses.

Cette recherche a été réalisée dans le cadre des travaux du PRIMASE, un programme de partenariat entre chercheurs universitaires et centres jeunesse qui aborde les questions des agressions sexuelles sur les enfants. Les résultats ont été publiés dans le numéro de septembre 2002 de la revue Child Abuse & Neglect et ont fait l’objet d’une présentation au colloque sur le tabou de l’inceste, organisé par la Fondation Marie-Vicent au cours de la Journée mondiale de l’enfance, le 20 novembre dernier.

Daniel Baril



 
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