Édition du 9 décembre 2002 / volume 37, numéro 15
 
  La pauvreté est une violation des droits de la personne
Pour l’Unesco, les pauvres doivent bénéficier d’un droit à la compensation.

 

Considérer la pauvreté comme un déni de justice et offrir des droits compensatoires aux pauvres est la seule avenue qui permette de respecter les droits de la personne et d’éviter la violence, affirme Pierre Sané, sous-directeur général pour le Secteur des sciences sociales et humaines de l’Unesco. 

«Ce qui caractérise la pauvreté, ce n’est pas un seuil de revenu ni même certaines conditions de vie; c’est la violation des droits de la personne dont elle est à la fois cause et effet. La pauvreté ne disparaîtra que le jour où elle sera reconnue comme un déni de justice et à ce titre abolie.»

C’est le message qu’a lancé Pierre Sané, sous-directeur général pour le Secteur des sciences sociales et humaines de l’Unesco, à son passage à l’Université de Montréal le 26 novembre dernier. M. Sané était à Montréal à l’occasion de la session du Comité international de bioéthique de l’Unesco, qui se déroulait sur le campus de l’UdeM. Il a profité de son séjour pour s’adresser à la communauté universitaire au cours d’une conférence organisée par la Faculté des études supérieures et divers départements et groupes de recherche.

Le sous-directeur général a déploré le manque de préoccupation de la communauté internationale à l’égard de la pauvreté, notamment celle qui touche des millions d’enfants. «Pendant le génocide rwandais, qui a fait 800 000 victimes, le monde a retenu son souffle, a-t-il rappelé. Mais huit millions d’enfants meurent chaque année de maladies liées à la pauvreté. Et notre monde s’en accommode.»

 Le conférencier a également souligné que les documents officiels des Nations Unies, notamment ceux de la Conférence sur les droits de l’homme, organisée à Vienne en 1993, établissent un lien organique entre la pauvreté et la violation des droits de la personne. «Il faut en tirer les conclusions, c’est-à-dire abolir la pauvreté en droit et combattre les actes qui y conduisent. Si la pauvreté était déclarée abolie, les pauvres reconnus lésés deviendraient titulaires d’un droit à la réparation dont les gouvernements et la communauté internationale deviendraient aussitôt solidairement comptables.»

Les ressources sont là

Cette approche du problème ne lui apparaît aucunement naïve, bien que le levier de ce revirement des choses doive prendre appui sur des réformes nationales et internationales. «Les ressources financières, techniques et humaines sont là, dit-il. Ce qui manque, c’est la volonté politique.»

La preuve que les ressources sont là, c’est que trois milliards d’individus ne reçoivent que 1,2 % du revenu mondial alors que un milliard de gens vivant dans les pays riches en reçoivent 80 %. Le transfert de 1 % du revenu annuel global d’un groupe vers l’autre suffirait à son avis à éliminer la pauvreté extrême.

Les objectifs du Programme du millénaire — le Millenium Development Goals —, visant à réduire de moitié, d’ici 15 ans, le nombre de personnes qui vivent dans une très grande pauvreté, lui paraissent un pas dans la bonne direction même s’ils sont insuffisants parce que l’on continue de considérer la pauvreté comme un déficit à combler au lieu de la voir comme un déni de justice. Et surtout, il ne faut pas confier ces objectifs aux économistes, prévient le conférencier.

Pierre Sané se pose donc des questions sur la conscience des «bonnes gens d’en haut» qui ne bronchent pas devant une situation intenable. La voie qu’il préconise lui apparaît la seule possible. «Le choix est simple: abolir la pauvreté et créditer les pauvres de droits ou laisser les pauvres prendre ces droits au moyen de révoltes.»

Guerre et mondialisation

Le sous-directeur général pour le Secteur des sciences sociales et humaines ne s’oppose par ailleurs pas à la mondialisation dans la mesure où cette restructuration planétaire s’appuie sur la Déclaration universelle des droits de l’homme. «Mais si l’on veut le libre marché, précise-t-il, il faut aussi permettre la libre circulation de la main-d’œuvre.»

Pierre Sané, qui a aussi été secrétaire général d’Amnesty International, a en outre tenu des propos surprenants sur la guerre. «Je n’ai rien contre la guerre à condition qu’on ne prenne pas les populations civiles en otages, a-t-il affirmé. Si deux armées de combattants veulent s’entretuer, pas de problème.»

Les guerres actuelles, qui ne sont plus soutenues par une idéologie ou un projet politique ou économique, sont devenues à ses yeux de simples activités économiques permettant aux chefs de guerre de s’enrichir. En Afrique, elles ne cesseront que lorsque ceux qui portent les armes seront fatigués de combattre, c’est-à-dire dans une génération.

Mais Pierre Sané demeure toutefois optimiste. «L’Afrique possède le plus gros pourcentage de terres agricoles non exploitées, la population est jeune, le continent pourrait fermer ses frontières et survivre. Il ne faut pas désespérer, conclut-il. C’est le continent qui a inventé l’humanité.»

Daniel Baril



 
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