Édition du 9 décembre 2002 / volume 37, numéro 15
 
  Terrain miné
Trois Cambodgiens témoignent de l’horreur des mines antipersonnel.

 

Tun Channareth, Prix Nobel de la paix 1997. 

Si le diable se lançait en affaires, il produirait des mines antipersonnel. Objet destructeur visant d’abord à blesser le soldat — un blessé est plus «lourd» à gérer qu’un cadavre pour une armée en campagne —, la mine antipersonnel demeure efficace plusieurs décennies après la fin des conflits, causant quatre fois plus de ravages chez les civils que parmi les militaires.

Au Cambodge, Song Kosal a marché sur une de ces mines lorsqu’elle accompagnait sa mère dans une rizière, à l’âge de quatre ans. Après un séjour à l’hôpital, elle s’est réveillée unijambiste. «Je ne pourrai plus jamais courir», a dit la jeune Cambodgienne devant un auditoire de l’École Polytechnique le 2 décembre dernier.

Song Kosal était accompagnée du Prix Nobel de la paix 1997, Tun Channareth, qui milite lui aussi contre la pose de ces engins. En 1982, ce jeune père de famille est blessé dans l’explosion d’une mine et doit lui-même procéder à l’amputation de ses deux jambes de façon à faciliter son transport jusqu’au poste de secours médical, 30 kilomètres plus loin. Atteint d’une profonde dépression, il tente deux fois de se suicider. Puis, il choisit de consacrer sa vie à la lutte contre l’usage de ces armes. La pétition du groupe de quatre vétérans handicapés dont il fait partie récoltera 500 000 signatures, poussant le gouvernement cambodgien à adopter une politique ferme en la matière.

Aujourd’hui, le Cambodge s’est engagé à détruire tout son stock de mines et procède au déminage de certaines zones à risque. Mais l’opération coûte cher: de 30 à 1000 $ par bombe (contre 3 à 30 $ l’unité à l’achat). Il reste quelque 10 millions de mines dans ce pays ravagé où l’on compte près de 35 000 victimes, dont 873 dans la seule année 2002. On estime qu’un village sur deux possède des terrains minés. Les terres agricoles, les zones urbaines et les terrains à proximité des écoles sont des endroits prioritaires pour les organismes humanitaires.

La délégation cambodgienne, qui a fait connaissance avec l’hiver canadien au cours d’un bref séjour à Ottawa et à Montréal, a voulu souligner le cinquième anniversaire du traité d’Ottawa interdisant la production et l’utilisation de mines antipersonnel. C’est l’association Ingénieurs sans frontières de l’École Polytechnique qui a organisé la rencontre.

350 modèles

«Il existe 350 modèles de mines, a signalé Guillaume Landry, ambassadeur jeunesse de l’Unicef pour l’action contre les mines anti-personnel, qui agissait comme maître de cérémonie et interprète. Ce sont des bombes à explosion instantanée. On n’a pas le temps de se mettre à l’abri, comme dans les films de James Bond. Certaines mines sont efficaces 70 ans après avoir été posées, ce qui limite l’agriculture dans des pays qui en auraient bien besoin.»

Signé le 3 décembre 1997 à Ottawa, le traité sur l’interdiction et la destruction des mines antipersonnel est entré en vigueur le 1er mars 1999. Il interdit l’emploi, le stockage, la production et le transfert des mines antipersonnel, en plus de prévoir leur destruction. À ce jour, 146 États l’ont ratifié, mais les plus grandes puissances militaires du monde (États-Unis, Russie, Chine, Inde, Pakistan) s’en sont abstenues.

Pour Guillaume Landry, même si ce traité a ses faiblesses, il a l’avantage d’exister. Depuis qu’il a été signé, les pays producteurs sont passés de 56 à 14 et le nombre de victimes a été réduit de moitié. Au printemps dernier, des représentants de 120 États s’étaient réunis à Genève pour inciter les États qui ne l’ont pas fait à signer le traité d’Ottawa. Neuf gouvernements ont utilisé des mines entre mai 2001 et la mi-2002, contre 13 au cours de l’année précédente.

Jusqu’au traité d’Ottawa, la question des mines antipersonnel était discutée dans le cadre de la convention sur l’usage des armes classiques. Un protocole sur les mines s’étant révélé trop décevant, le Canada, soutenu par une douzaine de pays, a entrepris de convoquer une réunion sur les mines antipersonnel en octobre 1996. Une cinquantaine de pays y ont participé.

Made in Canada

Le Canada a longtemps été un producteur important de mines antipersonnel par l’intermédiaire d’une société de la Couronne. En 1980, la filiale a été vendue à Lavalin, qui a mis fin à cette production en 1988. Depuis, un fonds de 100 M$ a été accordé par le gouvernement fédéral à la lutte contre l’usage de ces mines, et ce budget a été renouvelé récemment. Même si des mines de fabrication canadienne sont encore enfouies dans de nombreux pays, le Canada présente l’image, à l’étranger, d’une autorité repentante qui a pris l’initiative d’une cause humanitaire. Mais le Canada n’est actif dans aucun projet de déminage.

Nouvellement formée, l’association Ingénieurs sans frontières de l’École Polytechnique regroupe une centaine de membres. Elle compte un volet «recherche technologique en déminage humanitaire» en collaboration avec Action mines Canada.

À la fin de son témoignage empreint d’émotion, le militant pacifiste Tun Channareth a enjoint aux futurs ingénieurs de ne pas faire n’importe quoi pour de l’argent. Il leur a suggéré de refuser de vendre leur talent à l’entreprise de la guerre et de plutôt faire croître la paix «comme une fleur dans leur cœur».

Mathieu-Robert Sauvé





 
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