Édition du 3 février 2003 / volume 37, numéro 19
 
  Décoder le langage interne du cerveau
La science est toujours à la recherche d’un modèle pour expliquer le fonctionnement du cerveau.

 

Nedialko Krouchev explique la tâche à effectuer au journaliste Philippe Gauthier, installé pour les besoins de la cause aux commandes du «bras tricheur». 

Comment le cerveau fonctionne-t-il? Les observations abondent, mais les modèles complets font défaut. Les neurologues et les neurochirurgiens ont relié des comportements à certaines parties du cerveau, mais plusieurs mécanismes précis restent obscurs.

«Étudier le cerveau vivant est aussi complexe que de faire l’ingénierie inverse d’un avion en plein vol», affirme Nedialko Krouchev, chercheur postdoctoral au Département de physiologie. Pour le chercheur, les décharges neuronales constituent de toute évidence un signal qui s’apparente à ceux des appareils électroniques et autres systèmes complexes de l’avion. Si le langage de l’informatique est connu — des zéros et des un qui se groupent pour représenter des lettres ou des chiffres —, le langage des neurones, lui, reste à décoder et c’est précisément ce qu’il tente de faire. C’est un difficile mais passionnant travail d’ingénierie inverse.

Le parcours du chercheur est original. Il n’est pas neurologue, mais plutôt ingénieur, titulaire d’un doctorat en contrôle des systèmes. Il a d’abord travaillé en industrie puis, il y a quatre ans, son directeur de stage, le professeur John Kalaska, l’a recruté pour ses compétences particulières: «Sa formation lui permet de modéliser des systèmes complexes et, à partir de données brutes, d’inférer la forme de codage utilisée dans les signaux émis par les réseaux de neurones», fait valoir le professeur.

Un bras tricheur

Les recherches actuelles de Nedialko Krouchev s’inscrivent dans un projet international qui regroupe des chercheurs canadiens, britanniques et japonais afin d’étudier le fonctionnement du cerveau au cours de l’apprentissage de tâches visuomotrices. La tâche à accomplir est simple: il s’agit, à l’aide d’un bras manipulateur, de placer un curseur au centre d’un cercle sur un écran d’ordinateur. Là où les choses se corsent, c’est que le bras manipulateur triche: il va résister au mouvement ou au contraire l’amplifier. Le changement de résistance est accompagné d’un changement de couleur de l’écran.

 

Sa formation d’ingénieur permet à Nedialko Krouchev d’inférer la forme de décodage des signaux neuronaux à partir de données brutes. 

La première phase de cette recherche a été effectuée avec des primates. Les résultats, qui feront l’objet d’une publication dans le Journal of Neurophysiology, montrent qu’à force de répéter le geste les singes apprennent à n’exercer que la force nécessaire. Mieux encore, les mesures physiologiques indiquent que l’activité musculaire augmente dès que l’écran change de couleur, avant même que la résistance accrue soit perçue par l’animal.

L’expérience s’apparente à certains comportements de tous les jours. Ainsi, voyant une bouteille pleine, vous savez exactement quel effort déployer pour la soulever. «Ce sont des automatismes qui reposent sur un signal visuel perçu de manière consciente et sur un calcul non conscient basé sur la position du corps, explique John Kalaska. Ces réflexes peuvent être très poussés, comme ceux de l’automobiliste qui utilise son véhicule comme une extension de son propre corps. Mais on ne sait pas comment on en arrive là.»

Les appareils utilisés pour cette expérience enregistrent les décharges électriques de neurones choisis. Nedialko Krouchev a couplé ces données avec celles recueillies, entre autres, pour l’activité musculaire et pour le temps de réaction. On peut ainsi voir ce qu’un neurone en particulier fait dans le contexte de la tâche effectuée. «On constate déjà qu’il existe des réseaux de neurones qui s’activent de façon préférentielle pour une tâche donnée», résume-t-il.

Enfants hyperactifs

Le chercheur s’apprête à reprendre l’épreuve du curseur et du bras manipulateur avec des sujets humains, adultes et enfants. Ces deux groupes serviront en fait d’étalonnage pour un troisième groupe intrigant sur le plan neurologique, les enfants hyperactifs.

Certaines études suggèrent que le cerveau des enfants hyperactifs exagère toujours les corrections nécessaires pour accomplir une tâche donnée, rapporte Nedialko Krouchev. On sait aussi qu’un médicament comme le Ritalin réduit la variabilité excessive des signaux neuronaux, ce qui améliore la surcompensation et produit une variabilité motrice normale. On ignore par contre ce qui se passe lorsqu’un enfant fait un apprentissage moteur sous l’effet du Ritalin, puisqu’il fait appel à la mémoire du geste lorsque l’effet du médicament s’est dissipé.

Cette recherche fondamentale pourra-t-elle entraîner des applications pratiques? À court terme, une meilleure compréhension des modes d’apprentissage du système moteur devrait permettre d’élaborer des protocoles de réadaptation qui tireraient le maximum des ressources du système nerveux. À long terme, on espère concevoir, par exemple, des appareils mus par l’activité neuronale ou pouvant faire le pont entre les deux parties d’une moelle épinière sectionnée.

Philippe Gauthier
Collaboration spéciale




Étude sur les habiletés visuomotrices: volontaires recherchés

À l’aide d’environnements virtuels en 2D et 3D semblables à des jeux informatisés, le professeur John Kalaska et son stagiaire postdoctoral Nedialko Krouchev étudient les conditions de l’apprentissage moteur ainsi que l’effet du type de tâche et de sa complexité sur l’apprentissage.
Les deux spécialistes sont à la recherche de sujets qui accepteraient de participer à cette étude menée en collaboration avec le professeur Philippe Robaey, psychiatre à l’hôpital Sainte-Justine.
«Nous voulons savoir si le rappel d’habiletés motrices est modifié par l’apprentissage d’une autre tâche compétitive ou synergiste, et de quelle façon il serait touché, précise John Kalaska. Quels sont les effets de la motivation, de l’attention et de l’interaction sur le contexte d’apprentissage?»
Trois groupes de personnes sont recherchées: des sujets adultes, des enfants témoins âgés de 6 à 10 ans et des enfants âgés de 6 à 9 ans et 11 mois souffrant d’un trouble déficitaire d’attention avec ou sans hyperactivité. Les personnes intéressées peuvent communiquer avec le professeur Kalaska au (514) 343-6349.




 
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