Édition du 10 février 2003 / volume 37, numéro 20
 
  «Continuer le travail pour honorer les disparus.»
La navette Columbia transportait une expérience du professeur Jurgen Sygusch.

 

L’air songeur, le professeur Jurgen Sygusch n’en poursuit pas moins ses travaux sur la cristallisation de protéines en apesanteur. Il compte saisir la première occasion qui s’offrira sur la navette russe. 

«Je suis atteint physiquement, psychologiquement, intellectuellement et moralement.» C’est en ces termes que Jurgen Sygusch, professeur au Département de biochimie de la Faculté de médecine, décrivait son état au lendemain de l’explosion de la navette Columbia.

Ce chercheur est en quelque sorte un «habitué» des missions spatiales puisque c’était la septième fois que ses expériences sur la cristallisation de protéines se retrouvaient en orbite. Même s’il s’est dit frustré d’avoir cette fois-ci tout perdu, le professeur ne se décourage pas pour autant. «En recherche, il faut savoir faire face aux épreuves, reconnaît-il. Et il ne faut pas suspendre les programmes de recherche dans l’espace; continuer le travail, c’est faire honneur à ceux qui sont disparus et c’est valoriser leur mission.»

Forum l’avait rencontré quelques jours après le lancement du 16 janvier pour qu’il nous fasse part de ses travaux en cours.

Médecine et agriculture

Les expériences que le professeur Jurgen Sygusch avait confiées à la navette portaient sur deux protéines d’importance majeure. La première, l’aldolase, pourrait être un élément constituant d’une thérapie contre le cancer; la seconde, nommée P24, permettrait d’améliorer la résistance des plantes aux maladies.

«Quand une plante est attaquée, la protéine P24 participe au déclenchement du système de défense, explique-t-il. Nous pourrions peut-être rendre une plante plus résistante en modulant l’action de la P24. C’est une hypothèse. Quant à l’enzyme aldolase, elle est active dans la production d’énergie des cellules humaines. Dans certains types de cancers, à des stades avancés, cette production d’énergie fonctionne à outrance. Les organes du malade commencent alors à perdre du poids. Bloquez l’action de l’aldolase et vous aurez possiblement un traitement palliatif!»

Mais pour éventuellement arrêter l’action de l’aldolase et contrôler celle de la P24, il faut savoir à quoi l’on s’attaque! C’est pourquoi il est impératif de connaître parfaitement l’architecture moléculaire de ces protéines et leur fonction. En savoir davantage sur une protéine aide à mettre au point des médicaments plus efficaces et aux effets secondaires moins nombreux.

Pour y parvenir, M. Sygusch et son équipe étudient des cristaux de protéines, c’est-à-dire une structure figée composée de plusieurs copies de la protéine. L’observation de ces cristaux donne de l’information précise sur la structure protéique et les interactions des molécules. «L’espace, c’est ce qu’il nous fallait pour faire décoller nos projets, s’exclame le professeur Sygusch. Les cristaux créés en présence de gravité sont plus petits et comportent des défauts de structure. C’est pourquoi on envoie les molécules en orbite pour quelques jours. Au retour de la mission, nous avons alors un cristal d’une perfection inégalée sur terre.»

Parfaits, les cristaux spatiaux? À condition que les astronautes ne perturbent pas trop leur croissance! «Quand les astronautes bougent dans la navette, quand ils font de la bicyclette par exemple, ils causent des vibrations qui s’inscrivent dans mes cristaux», déplore le professeur. Pour éviter ce phénomène, la NASA reporte les activités plus vibratoires en fin de mission. Les cristaux peuvent donc grandir tout à loisir durant les 10 premiers jours environ de la mission.

La cristallisation en apesanteur devait donner une image beaucoup plus précise des caractéristiques des deux protéines. Dans le cas de l’aldolase, on espérait obtenir une image claire du site actif, c’est-à-dire de l’endroit où irait se fixer le médicament «stoppeur». Quant à la P24, on cherchait à mieux connaître son interaction avec sa cible, soit l’ADN de la plante. Le complexe ADN-P24 cristallisé dans l’espace devait répondre à cette interrogation.

Les expériences du professeur Sygusch s’inscrivent dans le programme de l’Agence spatiale canadienne sur la croissance des cristaux de protéines, programme en vigueur depuis 1993 et auquel participent des chercheurs de trois autres universités canadiennes ainsi que de l’Institut de recherche en biotechnologies de Montréal. Les protéines étudiées sont présentes dans le diabète de type II, le cancer du sein, le cancer de la prostate et le contrôle des bactéries biorésistantes.

Le dernier vol de la navette arrivait à point dans les recherches du professeur Sygusch. «Le timing était parfait», déclarait-il après la catastrophe. Comme le chercheur reproduit en laboratoire les mêmes expériences que celles réalisées à bord de la navette, le protocole mis au point cette fois-ci lui permettait d’espérer des résultats très positifs. La perte des données que devait ramener la navette empêche par contre le professeur de tirer quelque conclusion que ce soit de ses travaux.

Isabelle Vaillancourt
Collaboration spéciale




 
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