Édition du 10 février 2003 / volume 37, numéro 20
 
  Le manganèse dans l’essence pourrait causer des troubles neurologiques
Ceux qui résident en bordure des grandes artères seraient plus à risque.

 

Joseph Zayed estime important de poursuivre des recherches sur les populations sensibles aux effets du manganèse. Mais ce problème de santé publique ne semble pas être une priorité pour les gouvernements. 

Ayant remplacé le plomb comme antidétonant dans l’essence depuis plus de 10 ans au Canada, le méthylcyclopentadienyle manganèse tricarbonyle (MMT) pourrait causer des problèmes au système nerveux.

En effet, l’exposition à de fortes concentrations de manganèse peut entraîner des problèmes neurologiques semblables à ceux de la maladie de Parkinson. Or, les produits de combustion du MMT provoquent le rejet par les automobiles de différentes formes chimiques de manganèse.

«Le système nerveux est une cible toute désignée pour les effets nocifs associés au manganèse, alors que le bulbe olfactif peut en accumuler des quantités relativement élevées», signale le toxicologue Joseph Zayed au terme d’une étude de longue haleine dont le rapport a été déposé en 2002 à Santé Canada.

Pour en arriver à cette constatation, le directeur du Centre interuniversitaire de toxicologie et professeur à la Faculté de médecine a mené des études sur des animaux et sur des humains dont l’environnement contient du manganèse de source MMT. «Il ne faut pas être alarmiste, affirme le chercheur, mais nos recherches démontrent que le problème de la contamination par le manganèse de source MMT est bien réel; son risque potentiel sur la santé publique doit être bien documenté, en particulier pour ce qui est des sous-groupes plus sensibles, comme les personnes âgées et les personnes aux prises avec des dysfonctions hépatiques. Au-delà des études toxicologiques et environnementales, des études épidémiologiques poussées devraient être entreprises auprès de ces populations.»

Parmi les animaux utilisés par l’équipe du Dr Zayed, des rats ont été notamment exposés à différentes concentrations de manganèse. On a retrouvé dans leur cerveau de fortes concentrations de ce métal. Le bulbe olfactif a été le plus touché. Un article à ce sujet vient d’ailleurs de paraître dans une revue majeure, Toxicology and Applied Pharmacology. D’autres rats chez qui des dysfonctions hépatiques avaient été délibérément induites ont vu les concentrations de manganèse plus que doubler dans certaines parties de leur cerveau.

De telles expériences n’ont pas été tentées avec des sujets humains, bien entendu, mais on pense que les résultats obtenus sur le modèle animal pourraient s’appliquer à l’homme, plus particulièrement chez des individus souffrant de problèmes hépatiques comme la cirrhose. En fait, des autopsies ont révélé des niveaux élevés de manganèse dans le cerveau de personnes atteintes de problèmes hépatiques.

Des concentrations atmosphériques peu nocives

À Montréal, les concentrations de manganèse dans l’atmosphère sont relativement faibles (autour de 0,03 µg/m3) et ne présentent pas de danger pour la santé publique, assure le professeur Zayed. Il existe cependant des microenvironnements où l’on observe des concentrations atmosphériques supérieures à la norme recommandée par l’Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis. Ainsi, certains individus qui vivent près des routes à forte densité de circulation pourraient être exposés à des concentrations plus élevées. «Nous avons fait des relevés sur le boulevard Décarie, par exemple, où certains logements sont situés à une vingtaine de mètres de la circulation. L’air ambiant y est beaucoup plus chargé de manganèse qu’ailleurs, même à l’intérieur des habitations.»

Le Canada est le premier pays du monde à avoir adopté à grande échelle une politique d’utilisation du MMT dans l’essence, mais la France et l’Australie sont en train de l’imiter. D’autres comme les États-Unis, la Russie, la Bulgarie et la Nouvelle-Zélande pourraient leur emboîter le pas. Un mouvement d’opposition gronde toutefois aux États-Unis, alors que l’EPA a tenté de faire interdire l’additif devant les tribunaux. Chez nos voisins du Sud, on estimait que d’autres produits comme le méthyle-ter-butyle-éther (MTBE) pouvaient être moins nocifs. Mais des recherches ont démontré que cette substance occasionne également des effets toxiques.

Si plusieurs pays adoptaient le MMT comme additif antidétonant, la concentration de manganèse dans l’atmosphère augmenterait sensiblement dans les villes densément peuplées. Joseph Zayed indique que des modèles mathématiques ont permis de prévoir que la concentration atmosphérique de ce produit pourrait être multipliée par deux. Puisqu’on ne connaît pas suffisamment les effets d’une telle augmentation, le spécialiste estime qu’on devrait étudier la possibilité d’adopter dans ce dossier le principe de précaution.

Choix de société

En bon toxicologue, Joseph Zayed rappelle que tout produit de combustion comporte des risques. «Nous devons faire des choix de société, dit-il. Si vous voulez mon avis, l’utilisation excessive de l’automobile est le problème le plus important, mais il ne s’agit pas de cela dans ma recherche. En toxicologie, nous nous appliquons, entre autres, à connaître les risques qu’entraîne l’emploi de tel ou tel produit.»

Il ne reproche pas aux autorités canadiennes d’avoir interdit l’essence au plomb et de l’avoir remplacée par un produit à base de manganèse. «Cette substitution n’est pas une mauvaise décision en soi. Mais cela ne signifie pas qu’il faille cesser de mener des études sur les effets potentiels des produits utilisés», signale-t-il.

Mathieu-Robert Sauvé







 
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