Édition du 10 février 2003 / volume 37, numéro 20
 
  Courrier
Des précisions sur le brevetage

À titre d’étudiant en sciences biologiques et candidat à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, je désire vous faire part de mes réactions à la suite de la lecture de l’article de Mathieu-Robert Sauvé intitulé «Brevetez d’abord… publiez ensuite!», paru dans le numéro de Forum du 30 septembre 2002.

A priori, le message, qui se veut préventif, semble rappeler les dangers qui sont inhérents à la publication prématurée des résultats obtenus dans les laboratoires de recherche scientifique. Selon l’article, les universitaires seraient victimes de la politique du «publish or perish» lorsqu’ils divulguent leurs résultats, soit dans des conférences, soit dans des articles spécialisés. La conclusion est la suivante: «[…] la communication au Bureau des brevets de leurs découvertes peut avoir des retombées intéressantes pour leur laboratoire et leur équipe de recherche.»

Ma curiosité ayant été piquée, je me suis renseigné sur les obligations qu’implique le brevet d’invention, notamment en lisant le Guide du brevet, fourni par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC). Vous comprendrez ma perplexité quand, parvenu au terme de ma lecture, je me suis rendu compte de l’absence de plusieurs faits notables qui manquent visiblement à l’objectivité de votre synthèse.

• Le titulaire d’un brevet d’invention ne peut revendiquer aucune propriété! Selon les sources de l’OPIC, le brevet d’invention confère un monopole temporaire d’exploitation; il s’agit donc d’un titre octroyant un privilège économique à l’exploitant (soustraction d’un industriel de la libre concurrence), et non d’un acte procurant à l’inventeur la propriété de son procédé ou de son concept. Pour comble d’insécurité, le brevet d’invention mène obligatoirement à la publication universelle des secrets du déposant. Cette divulgation, ayant lieu 18 mois après le dépôt de la demande, permet de toute évidence à la concurrence aux aguets de préparer une contre-offensive économique (par pression d’influence) technique ou technologique efficace (avec des brevets contournants par exemple)… Pourquoi ne pas parler du brevet d’abandon? Si je m’en tenais à cette première étape de ma lecture, ma conclusion personnelle me porterait à penser qu’il serait plus dangereux de breveter que de garder le secret.

Mais là ne s’arrête pas cette mauvaise surprise, si l’on continue le parcours de ce passionnant document…

• En effet, bien que le déposant soit tenu de procéder à une recherche d’antériorités, il lui est impossible de connaître les antériorités les plus importantes, les plus récentes, c’est-à-dire, par déduction logique de ce qui précède, celles qui ont moins de 18 mois.

• Pire: sans parler du coût exorbitant de la protection en justice d’un brevet d’invention international (qui peut se chiffrer en centaines de milliers de dollars), pourquoi n’avez-vous pas abordé non plus, dans votre article, l’énorme investissement que nécessite le brevet dans sa globalité (environ de 10 000 à 15 000 $ par pays, selon les dires du cabinet Léger & Robic — taxes + honoraires), somme qui est, elle aussi, hors de portée de l’inventeur ou du chercheur auquel vous vous adressez? La soi-disant protection conférée par le brevet dépendrait-elle exclusivement des moyens financiers du titulaire?

• Dernier point inquiétant: dans les 12 mois suivant la délivrance de son brevet national, le titulaire a l’obligation d’étendre son titre internationalement pour bénéficier de sa priorité d’extension, ce qui implique les frais supplémentaires susmentionnés, qui se chiffrent en dizaines, voire en centaines de milliers de dollars… De tout cela, l’article de Forum ne fait aucun cas… L’inventeur doit dépenser de pareilles sommes alors qu’il ne connaît toujours pas l’état des antériorités précédant la date du dépôt de sa demande initiale, et ce, à cause du fameux délai de 18 mois qui n’est pas encore expiré pour les brevets déposés avant la date du dépôt de la demande de l’inventeur. Dans ce cas, selon l’OPIC, son invention peut donc faire l’objet de procédures ultérieures en opposition et en annulation, faisant fi des sommes extravagantes qui ont été dilapidées.

• En supposant que l’inventeur soit fortuné (et suffisamment philanthrope) pour franchir toutes ces étapes, il est néanmoins contraint d’exploiter au plus vite son monopole, faute de quoi le titre perd peu à peu sa force de droit. Après trois ans d’inaction (ou de faible exploitation), l’inventeur peut être accusé d’abus de monopole, et un tiers concurrent peut obtenir une licence d’office par voie de justice… Conséquence logique pour un titre d’exploitation… Contrecoup impossible pour un acte de propriété…

• Nonobstant la litanie de leurs malheurs, les titulaires de brevets d’invention ont l’obligation de payer 20 annuités de maintien du titre, dans tous les États où le brevet est déposé… Suppléments qui représentent au total quasiment autant que le coût initial du brevet, pays par pays… À défaut de payer une seule annuité, l’État qui reste le seul propriétaire du titre peut invalider le monopole, entraînant de fait l’annulation du brevet, etc.

N’existerait-il pas un système moins coûteux et plus équitable (pour ne pas dire plus honnête) qui permettrait à l’inventeur d’être vraiment propriétaire de son invention?

Patrick Noué



Réponse à Patrick Noué

Les intéressantes critiques formulées par notre lecteur s’adressent à la politique canadienne en matière de brevets, non à l’article rédigé l’automne dernier à la suite d’une entrevue avec le coordonnateur de Préval, un programme de «prévalorisation» des résultats de recherche géré par le Bureau de liaison entreprises-Université et des subventions (BLEUS). Le travail de Forum ne visait pas à faire la «synthèse» de la réglementation sur les brevets mais à transmettre le message du BLEUS, à savoir que les chercheurs doivent s’interroger sur la pertinence d’inscrire leur découverte au Bureau des brevets avant de la rendre publique dans un article scientifique parce qu’après il est en général trop tard. Libre à eux d’abandonner leur droit à d’éventuelles redevances si tel est leur désir.
Mathieu-Robert Sauvé



 
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