Édition du 17 février 2003 / volume 37, numéro 21
 
  Pétrole, fondamentalisme et retour à la barbarie
Dans Pourquoi Bush veut la guerre, Rodrigue Tremblay analyse les motifs d’une éventuelle guerre contre l’Irak.

 
Rodrigue Tremblay

Comment la guerre lancée contre le terrorisme international à la suite de la tragédie du 11 septembre 2001 s’est-elle transformée en guerre d’agression contre l’Irak? Pourquoi le gouvernement américain, sous la houlette de George W. Bush, déploie-t-il son gigantesque arsenal militaire pour envahir ce pays du Moyen-Orient?

Telles sont les questions que pose Rodrigue Tremblay, professeur émérite au Département de sciences économiques, dans son livre Pourquoi Bush veut la guerre.

Pour y répondre, il ne craint pas «de faire le lien explosif entre la religiosité dans l’espace public, la politique partisane et le besoin de contrôler les sources de pétrole», convaincu qu’en matière de violence l’humanité est toujours menacée de retomber dans la barbarie. Selon lui, ce mélange de religiosité et d’intérêts politiques ainsi qu’économiques constitue un cocktail explosif. «Ajoutez-y une superpuissance ou une ‘‘hyperpuissance’’ blessée et humiliée, dirigée de surcroît par une personnalité au tempérament simpliste et guerrier, et vous avez là un cocktail doublement explosif qui risque de transformer la planète».

America first

Pour l’économiste, la «doctrine Bush d’hégémonie et de domination mondiale» (America first) énoncée en septembre dernier par le président américain guidera les relations internationales pour les prochaines décennies. Ainsi, les États-Unis risquent de devenir pour le 21e siècle ce que fut l’Allemagne pour le siècle précédent. Tous les pays doivent donc prendre garde à cette nouvelle volonté de puissance des dirigeants américains, qui constitue en partie une réaction viscérale à l’humiliation ressentie par les États-Unis le 11 septembre 2001.

 
La civilisation occidentale a vraiment commencé à s’épanouir à partir du moment où elle s’est affranchie du despotisme et de l’autocratisme d’essence divine et religieuse, constate l’économiste. Sans cette victoire des valeurs universelles de liberté et de démocratie, nous serions encore au Moyen Âge, comme dans certains régimes théocratiques où l’islam est religion d’État. Les enseignements des livres saints, comme la Bible et le Coran, avec leurs préceptes de «œil pour œil et dent pour dent» sont des encouragements à la haine, à la vengeance et à la guerre, à tel point qu’on «se demande vraiment comment certains peuvent continuer d’affirmer que de telles religions sont des religions de “paix”», observe M. Tremblay.

Born again

Or voilà que l’actuel président des États-Unis clame que «Jésus a changé mon cœur», ouvre les portes de son administration à des membres de la droite fondamentaliste américaine, fait rédiger ses discours par un théologien, se perd dans les méandres du bien et du mal, se décrit comme un protestant born again (religieux fondamentaliste et extrémiste) et multiplie les sermons et les prières publiques.

«Tout comme le Moyen-Orient est balayé par la tempête de sable de l’intégrisme islamiste, les États-Unis sont le seul pays occidental à être lui aussi balayé par un fort courant d’intégrisme religieux», souligne Rodrigue Tremblay. Plusieurs chaînes de télévision sont mobilisées par des télévangélistes multimillionnaires «hurlant et cognant sur la Bible» pour soutirer le plus d’argent possible à un public crédule et apeuré de 30 millions d’électeurs born again qui votent républicain. Ces milieux religieux exemptés d’impôts jouèrent un rôle décisif aux élections du 7 novembre 2000, que George W. Bush remporta de justesse contre le démocrate Al Gore, de même qu’aux législatives de novembre 2002, qui consacrèrent une majorité républicaine aux deux chambres du Parlement américain (Sénat et Chambre des représentants).

La popularité des scénarios de fin du monde, avancés par plusieurs confessions religieuses à partir de passages de la Bible, est fort inquiétante, d’autant plus que la Maison-Blanche est occupée par un président qui affiche ses penchants évangélistes et prétend agir au nom de Dieu, écrit M. Tremblay. Plus inquiétante encore, la réunion chez cette même personne d’un penchant religieux et d’un penchant militaire dans un pays où «la guerre est une composante de l’industrie du divertissement».

Théologie et pétrole

M. Bush est issu de l’industrie pétrolière, de même que certains de ses collaborateurs immédiats, Dick Cheney et Condoleeza Rice notamment. D’autres proviennent du secteur militaire. De plus, le président américain a fait de l’approvisionnement en pétrole une priorité de sa politique étrangère. Et pour cause, les États-Unis se dirigent vers une crise énergétique majeure d’ici 10 ans, révèle l’économiste. Ils consomment 25 % de la production mondiale de pétrole alors qu’ils ne possèdent que 2 % des réserves mondiales. Les réserves américaines d’or noir ayant même fortement diminué depuis une décennie, Rodrigue Tremblay prévoit que les Américains atteindront le fond du baril entre 2008 et 2010.

«On peut comprendre pourquoi, pour MM. Bush et Cheney, une guerre contre l’Irak n’est pas un choix, mais presque une nécessité économique.» Pour mettre la main sur le pétrole irakien, qui compte à l’heure actuelle pour 25 % des réserves mondiales connues, il leur faut substituer à Saddam Hussein un gouvernement proaméricain au prix de nombreuses vies humaines.

«On peut vraiment se demander si la guerre a encore sa place dans un monde civilisé, considérant les sévices qu’elle impose aux populations civiles et compte tenu du caractère destructeur des armements modernes», se demande le professeur Tremblay. Évoquant les affres de la guerre du Viêtnam, il prédit que, si les États-Unis se lancent «tête baissée dans une guerre pétro-religieuse au Moyen-Orient, ils risquent de s’embourber de nouveau dans le genre de conflits qui détruisent les pays et font reculer les civilisations».
Les premiers à payer le prix d’une telle guerre seront les Américains eux-mêmes. Les dépenses militaires des États-Unis, qui représentent 43 % des dépenses militaires mondiales, comptent pour 80 % du déficit de la balance extérieure du pays. Quant à la dette publique interne, elle ne pourra être amortie qu’au prix de substantielles hausses d’impôts. Ce double déficit «est une source de faiblesse qui viendra hanter ce pays dans l’avenir», prédit l’économiste.

Une telle guerre, conclut-il, vient saper les fondements de liberté, d’égalité, de tolérance, de sécularisation de l’État, de démocratie ainsi que de confiance dans le progrès par la science et les connaissances que la civilisation occidentale a mis cinq siècles à établir. C’est donc l’humanité tout entière qui en paiera le prix.

Françoise Lachance

Rodrigue Tremblay, Pourquoi Bush veut la guerre, Montréal, Les Éditions des Intouchables, 2003, 225 p.



 
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