Édition du 17 février 2003 / volume 37, numéro 21
 
  L’exode des sarraus
Une étude du GRIS montre que les médecins qui quittent le Québec le font pour des motifs économiques et politiques.

 

Les motifs de départ des médecins formés au Québec sont essentiellement liés aux conditions de la pratique médicale, incluant tout ce qui touche à la rémunération. C’est ce qu’indique Henriette Bilodeau, chercheuse au Groupe de recherche interdisciplinaire en santé (GRIS) de la Faculté de médecine.

«Il est important de réaliser que le revenu moyen des médecins québécois est le plus bas actuellement du Canada alors qu’il était l’un des plus élevés au début des années 70», signale la chercheuse.

L’Institut canadien d’information sur la santé révèle qu’entre 1996 et 2000 quelque 550 médecins ont quitté le Québec pour aller pratiquer dans une autre province canadienne ou à l’étranger, principalement en sol américain. Alors que d’autres provinces comme l’Ontario et la Colombie-Britannique présentent des soldes migratoires interprovinciaux largement positifs (+ 331 et + 609), le Québec affiche un solde de migration interprovinciale négatif de – 371 médecins.

L’équipe de Mme Bilodeau s’est demandé ce qui poussait les médecins québécois à boucler leurs valises. Son enquête, menée auprès de 1654 médecins, a montré que 231 d’entre eux avaient établi leur pratique dans une autre province canadienne; 267 autres travaillaient aux États-Unis; 110 étaient revenus à la maison après un séjour plus ou moins long chez nos voisins du Sud ou ailleurs au Canada; 1046, enfin, avaient toujours fait carrière au Québec.

L’émigrant

L’étude — L’émigration des médecins québécois: motifs de départ et de retour — révèle en outre que les médecins qui ont quitté le Québec l’ont fait avant tout pour des raisons professionnelles et contextuelles: 52,3 % évoquent, comme motif principal, le revenu; 41,6 %, la recherche d’un milieu professionnel stimulant; et 35,2 %, la disponibilité des ressources professionnelles nécessaires aux soins des patients. Pour ce qui est des motifs contextuels, 55,9 % des répondants ont expliqué leur départ en invoquant le climat politique du Québec, 47,8 % déploraient le taux d’imposition, tandis que 32,7 % des médecins mentionnaient la politique linguistique. Précisons que la migration analysée dans cette recherche couvre une période de 15 ans (de 1986 à 1999).

En examinant les données, les chercheurs ont en outre constaté une surreprésentation d’anglophones parmi les médecins quittant le Québec. «Quarante-sept pour cent de ceux qui s’en vont sont des anglophones, alors qu’on retrouve seulement 5 % d’anglophones chez les médecins du Québec», indique Mme Bilodeau. Toutefois, presque autant de francophones (44 %) que d’anglophones (47 %) quittent la province. «Mais cette différence est quand même significative», souligne la chercheuse. Cela dit, 57 % des médecins qui émigrent aux États-Unis ou dans les autres provinces canadiennes sont diplômés de l’Université McGill, «bien que cet établissement ne forme en moyenne que le tiers des diplômés par année».

Enfin, on trouve presque trois spécialistes pour un omnipraticien à l’intérieur des groupes qui vont travailler dans une autre province canadienne et de l’autre côté de la frontière.

Le revenant et le résidant

Celui qui part peut aussi revenir. Les raisons? Elles sont surtout d’ordre personnel: présence des liens familiaux (61,1 % des répondants) et qualité de la vie familiale (51,4 %). Trente et un pour cent des «revenants» évoquent la possibilité d’une carrière universitaire ou de chercheur.

Pour ce qui est du médecin «résidant», ce sont également des facteurs familiaux qui motivent la décision de rester. Les facteurs professionnels viennent au deuxième rang, tout en révélant cependant un élément intéressant. La liberté dans les décisions cliniques est jugée par 54,3 % des «résidants» comme un déterminant majeur dans la décision d’exercer la médecine exclusivement au Québec. Soit dit en passant, 15,5 % des médecins «revenants» ont aussi signalé ce facteur comme motif de retour des États-Unis. Les auteurs de l’étude estiment que le manque d’autonomie professionnelle pourrait résulter de la pratique là-bas en managed care.

Cette étude, unique en son genre, constitue un premier pas dans la compréhension de la dynamique du phénomène migratoire des médecins. Depuis sa publication, les chercheurs ont encore davantage fouillé la question. «Nous avons effectué des entrevues qualitatives auprès d’une trentaine de médecins québécois établis aux États-Unis afin d’approfondir les relations entre les mesures relatives à la main-d’œuvre médicale et le départ du Québec, explique Henriette Bilodeau. Nous avons également examiné l’opinion des divers groupes de médecins de notre étude à l’égard de la privatisation des soins de santé. Ces résultats seront rendus publics sous peu.»

Compte tenu de la pression exercée sur l’effectif médical et du vieillissement de la population médicale dans plusieurs spécialités, le départ possible d’un plus grand nombre de médecins est inquiétant. Toutefois, la Table de concertation permanente sur la planification des effectifs médicaux — dont une partie du mandat est d’établir des projections — recommandait récemment d’augmenter d’environ 50 % le nombre des admissions dans les quatre facultés de médecine, comparativement à la période 1995-1998.

Luc Dupont
Collaboration spéciale



 
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