Édition du 17 février 2003 / volume 37, numéro 21
 
  La recherche à l’UdeM au temps de la «grande noirceur»
Sur les traces de Marie-Victorin, les scientifiques de l’époque ont jeté les bases de la recherche universitaire.

 

Le frère Marie-Victorin dans son laboratoire de la rue Saint-Denis en 1923, en compagnie de Jules Brunel (à gauche) et de Gérard Gardner. Jules Brunel éditera La flore laurentienne en 1935 et deviendra titulaire de la chaire de cryptogamie en 1943. 

Durant le premier quart du 20e siècle, un préjugé assez répandu au Canada français veut que l’esprit latin des francophones les éloigne, «de façon naturelle», de toute compétence relative aux sciences, aux techniques, à l’administration et au commerce.

Ce préjugé, qui a persisté pendant toute la période dite de la «grande noirceur», allant des années 30 jusqu’à 1960, a été combattu dès les années 20 par de nombreux scientifiques qui ont contribué au développement de l’Université de Montréal.

Parmi ceux-là, Marie-Victorin déplorait «l’absence d’un corps imposant de biologistes capables de former l’opinion publique toujours passive». «Nous en sommes encore un peu à l’attitude qui sévissait il y a quarante ans en Europe, écrivait-il dans Science, culture et nation. Même pour les gens instruits, les mots de transformisme, d’évolution sont encore des épouvantails. […] N’est-il pas plus simple d’adopter le modus vivendi des pays éclairés, de laisser la science et la religion s’en aller par des chemins parallèles, vers leurs buts propres […]?»

 

Une séance de travaux pratiques en biologie végétale dans le laboratoire André-Michaud en 1942. 

Encore en 1942, lorsque le père Noël Mailloux fonde l’Institut de psychologie (qui deviendra le Département de psychologie), les étudiants devaient recevoir une dispense de l’évêché pour lire les œuvres de Freud.

Les précurseurs

On peut faire remonter l’organisation structurée de l’enseignement des sciences au «Canada français» au début des années 20, au moment même où l’Université de Montréal obtient son indépendance de l’Université Laval et fonde la Faculté des sciences.

C’est le père Louis-Joseph Morin qui sera le premier doyen de cette nouvelle faculté, dont le rôle est de préparer les étudiants à l’enseignement des sciences dans les collèges classiques. Ce n’est qu’en 1933 qu’on mettra en place des programmes de doctorat afin d’éviter que les francophones désireux d’obtenir des diplômes de maîtrise ou de doctorat soient obligés de poursuivre leurs études dans des universités «anglo-protestantes».

 
Hans Selye dans son laboratoire vers 1945.

La Faculté des sciences développe particulièrement le secteur des sciences naturelles (botanique, géologie, chimie, mathématiques et physique) grâce à des précurseurs comme le frère Marie-Victorin. Doué d’un zèle infatigable, Marie-Victorin entraînera à sa suite des passionnés comme Jacques Rousseau, cofondateur du Jardin botanique, Jules Brunel, Roger Gauthier, Marcel Cailloux et plusieurs autres.

Parmi les autres précurseurs de l’enseignement des sciences naturelles figurent Adhémar Mailhot et son successeur, le père Léo-Georges Morin, qui développent le secteur de la géologie. Adhémar Mailhot fut directeur du Laboratoire provincial des mines alors que le père Morin sera le premier directeur de l’Institut de géologie, qui deviendra en 1942 le Département de géologie. On lui doit une imposante collection de négatifs sur plaques de verre sur les minéraux du Québec.

En chimie, c’est Georges-Hermyle Baril qui ouvre la voie. Seul universitaire de carrière à se joindre à la Faculté des sciences (il enseignait auparavant à la Faculté de médecine), le professeur Baril a aussi été directeur des laboratoires de l’Hôtel-Dieu et de l’hôpital Sainte-Justine à Montréal.

Moins connu du grand public, Arthur Léveillé s’occupera de la section mathématique et succédera au père Louis-Joseph Morin comme deuxième doyen de la Faculté des sciences.

Pendant ce temps, Joseph-Ernest Gendreau donne de l’ampleur au Département de physique. Il avait, en 1921, lancé l’idée de la création d’un conseil provincial de recherche, s’inspirant du Conseil national de recherches à Ottawa. Ce projet, qui n’a pas fait long feu, sera repris une dizaine d’années plus tard par Georges-Hermyle Baril, qui devra à son tour l’abandonner faute de fonds. Joseph-Ernest Gendreau aura plus de chance avec son projet de création d’un institut de traitement du cancer, qui mènera à l’implantation de l’Institut du radium de Montréal.

Deux ans après l’ouverture de la Faculté des sciences, Marie-Victorin écrira que cet événement, «qui avait paru à plus d’un une redoutable équipée, a déjà donné des résultats suffisants pour que l’on puisse ranger cette initiative parmi les plus fécondes de la génération présente».

La crise

L’époque est toutefois très difficile et tout est à faire. Dans le pavillon de la rue Saint-Denis, trois incendies, en 1919, 1921 et 1922, viennent détruire les laboratoires péniblement équipés. Les problèmes d’espace font rage si bien que le premier cours de Marie-Victorin est donné en plein corridor. En 1929, la crise vient aggraver la situation: la construction du Pavillon principal, amorcée en 1928, est suspendue pendant plus de 10 ans.

Il faudra attendre l’inauguration de ce pavillon en 1943 avant de pouvoir offrir aux scientifiques de vrais laboratoires et la place suffisante aux étudiants désireux de s’inscrire. On compte alors 14 amphithéâtres, 21 laboratoires de 100 places et 70 laboratoires à l’usage des professeurs et des chercheurs. Malheureusement pour le frère Marie-Victorin, ce nouvel emplacement vient bien tard puisqu’il décède l’année suivante.

Parmi les recherches qui ont valu les honneurs à l’Université de Montréal à cette époque, il convient de citer les travaux d’Armand Frappier sur le vaccin contre la tuberculose (le vaccin BCG pour «bacille Bilié de Calmette et Guérin»), réalisés en 1938. En 1945, Hans Selye met au point sa théorie du stress, qui fera la réputation de l’Institut de médecine en recherche expérimentale.

 

Deux étudiants d’Armand Frappier dans le laboratoire de vaccins contre la tuberculose à l’Institut de microbiologie et d’hygiène dans les années 40. 

Vulgarisation scientifique

Pour diffuser la connaissance, les chercheurs de l’époque comptent sur les sociétés scientifiques comme l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (ACFAS). Fondée en 1923 par un groupe de scientifiques dont plusieurs sont issus de l’Université de Montréal (Mgr Vincent Piette et Édouard Montpetit, respectivement recteur et secrétaire général de l’Université, Léo Pariseau, professeur à la Faculté de médecine, Marie-Victorin, Louis-Janvier Dalbis, professeur de biologie, et Joseph-Ernest Gendreau), l’ACFAS organise son premier congrès à l’UdeM en 1933.

Le travail de vulgarisation scientifique, relayé dans les années 40 par Léon Lorti avec Radio-Collège et poursuivi par Fernand Seguin à la télévision de Radio-Canada, permettra à toute une génération de Québécois de s’intéresser à la science. Grâce à des gens comme eux, le travail des scientifiques de la période dite de la «grande noirceur» sera si bien reconnu que le nom de deux de nos pionniers sont désormais associés à des prix du Québec en matière scientifique, Marie-Victorin (sciences pures et appliquées) et Armand-Frappier (administration et promotion de la recherche).

Diane Baillargeon et Denis Plante
Collaboration spéciale

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