Édition du 24 février 2003 / volume 37, numéro 22
 
  Les filles aussi peuvent être violentes
La criminologue Nadine Lanctôt suit des jeunes contrevenantes depuis 10 ans.

 

Entre 15 et 24 ans, les comportements violents diminuent chez les femmes, mais les tentatives de suicide, la consommation de drogue et les dépressions augmentent, a observé Nadine Lanctôt. 

«As-tu déjà frappé quelqu’un parce que tu étais fâchée ou pour avoir ce que tu voulais?» À des questions de cette nature portant sur la violence physique et relationnelle, 37 % d’une cohorte de jeunes femmes de 24 ans ont répondu oui. Lorsque Nadine Lanctôt, professeure à l’École de criminologie, avait posé les mêmes questions il y a neuf ans aux mêmes répondantes alors âgées de 15 ans et présentant des troubles de comportement, 69 % avaient répondu par l’affirmative.

«Notre recherche démontre que les comportements violents chez les filles s’amenuisent avec l’âge, affirme-t-elle. La quantité des gestes violents diminue également.»

Pourtant, les statistiques canadiennes indiquent que la violence chez les jeunes filles a augmenté deux fois plus rapidement que chez les jeunes garçons depuis 10 ans. Cette tendance a aussi été observée aux États-Unis et au Royaume-Uni. Les sondages sur la délinquance autorévélée rapportent toutefois que les garçons sont de trois à quatre fois plus nombreux que les filles à être impliqués dans des activités violentes alors que les statistiques en provenance des tribunaux indiquent que ce ratio garçon-fille se situe autour de neuf pour une.

En suivant les mêmes adolescentes au fil des ans, Mme Lanctôt a pu retracer l’évolution des comportements violents. «À 24 ans, même les filles qui étaient très violentes à l’âge de 15 ans ont changé leur comportement. Chez les garçons, par opposition, on note beaucoup plus de persistance.» La professeure attribue ce phénomène à l’intériorisation des rôles sociaux par les jeunes femmes. Toute leur vie, les filles se font dire qu’elles doivent être polies et aimables et qu’elles doivent prendre soin des autres. Elles voient ces stéréotypes dans les magazines, à la télévision, dans leur famille et leur groupe d’amies. Plus elles vieillissent, plus elles assument la fonction sociale que la collectivité a définie pour elles. Elles s’imposent des barrières intérieures et développent des habiletés à s’autocontrôler.

Malheureusement, les comportements violents font place à d’autres complications. Les tentatives de suicide, la consommation de drogue et les dépressions s’accentuent tout au long des années. «En fait, les femmes sont passées d’un comportement qui causait du tort à autrui à un comportement qui leur fait mal à elles-mêmes.»

Idéalement, il faudrait agir plus tôt chez les adolescentes et les amener à remplacer les conduites violentes par des techniques permettant de gérer la colère de façon saine et équilibrée.

Violence physique et relationnelle

Si les filles et les garçons utilisent la violence pour des raisons semblables, certaines différences s’observent. Par exemple, les filles réagissent davantage à des conflits interpersonnels. Les garçons, quant à eux, utilisent la violence pour accéder à un statut au sein de leur groupe d’amis.

Par ailleurs, la violence s’exprime différemment chez les deux sexes. «Quand on pense violence, on a tendance à penser violence physique. Or, on sait désormais que la violence indirecte peut être tout aussi dommageable.» Si les garçons ont le réflexe de sortir les poings, les filles vont plutôt tâcher de ternir la réputation de leur victime, de faire en sorte qu’elle ait de la difficulté à se faire des amis.

Évidemment, toutes les filles qui manigancent ou parlent dans le dos de leurs pairs ne sont pas délinquantes. «Tout le monde a été violent à un moment dans sa vie. Exprimer sa colère, c’est même important pour le développement de l’être humain. Cependant, lorsque la violence relationnelle est répétitive et se manifeste toujours envers la même personne, elle commence à être problématique.»

Déjà, la professeure Lanctôt a étudié les facteurs associés à la violence chez les adolescentes. Fugues, refus de l’autorité parentale, problèmes à l’école, influence des amis: tous peuvent contribuer aux comportements violents des filles.

Intervention, SVP!

Avec ses collaborateurs canadiens, Mme Lanctôt est sur le point d’évaluer les programmes d’intervention qui existent pour aider les jeunes filles aux prises avec des problèmes de violence. «À Montréal, nous sommes assez gâtés, affirme-t-elle. Le Centre de jeunesse de Montréal a mis sur pied des programmes fort prometteurs pour les adolescentes. Boscoville, qui a rouvert ses portes en l’an 2000, vient de lancer un programme spécialement destiné aux filles.»

En plus d’examiner si les programmes aident réellement les filles à mieux gérer leur colère et leur stress, la chercheuse tentera de les bonifier. Elle aimerait entre autres tester différents jeux de rôles. «On peut évacuer le stress sans causer de tort ni à autrui ni à soi-même, en parlant à la personne qui nous a fait du mal par exemple. On veut apprendre aux jeunes filles qu’il est correct d’être en colère, mais qu’il existe des façons de l’être.»

Dominique Forget
Collaboration spéciale




 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications et du recrutement