Édition du 27 mars 2003
 
  Le sud-ouest du Québec part en friche
Karyne Benjamin étudie les dynamiques spatio-écologiques des friches agricoles du sud-ouest de la province.

«Sur le territoire de la province, on compte plus de 8 000 km2 de friches agricoles. Cela représente 16 fois la superficie de l'île de Montréal», révèle Karyne Benjamin, qui rédige une thèse de doctorat à la Faculté de l'aménagement sur les dynamiques spatio-écologiques des friches herbacées et arborescentes du sud-ouest québécois.

Au Québec, ces terrains agricoles non utilisés sont concentrés dans les régions où la demande de terres est moins forte qu'ailleurs, faute de succession ou de candidats intéressés par l'exploitation. Par exemple, dans le Haut-Saint-Laurent, on constate un abandon progressif des surfaces arables les moins productives. Un phénomène d'autant plus étrange qu'entre Montréal et Québec, où la culture du maïs domine, les terrains agricoles se vendent comme des petits pains chauds. Pourtant, de 1961 à 1996, le territoire québécois cultivé a diminué de près de la moitié, passant de 3,2 millions d'hectares à 1,7 million environ.

Les campagnes subissent de plein fouet la déprise agricole, souvent associée à une morosité économique et à une dévitalisation du milieu social. De plus, les terres abandonnées au profit des broussailles et des ronces accueillent des monceaux de gravats déposés par des citoyens indélicats: des congélateurs rouillés, des carcasses de voitures...

Alors, que faire? «Le problème, c'est qu'on sait très peu de choses au sujet des friches du Québec. Ici, on commence à peine à s'intéresser à la déprise agricole, un phénomène pourtant reconnu depuis une décennie», déplore Karyne Benjamin, qui revient d'un stage de neuf semaines en France financé par la Fondation Daniel Arbour et Associés.

Grâce à une bourse d'excellence de 15 000 $, elle a parfait ses connaissances sur les pratiques liées à l'aménagement de ces terres agricoles laissées à l'abandon. «En France, dit l'étudiante, les types de friches sont différentes. Les terres n'y sont pas protégées par une loi gouvernementale; il y a donc beaucoup de spéculation immobilière. Mais on observe aussi une grande fierté chez les citoyens à l'égard des milieux naturels, qui sont perçus comme des biens collectifs.»

Pas sorti du bois
Doit-on s'inquiéter de l'étendue croissante des friches agricoles au Québec? «Les sols délaissés par l'agriculture n'ont pas d'effets préjudiciables sur la biodiversité, mais ils posent un grand défi à l'aménagement, répond Karyne Benjamin. Il est urgent de rebâtir le potentiel forestier dans le sud-ouest du Québec. Sans intervention de notre part, cela prendra au minimum une centaine d'années.»

Or, l'enjeu actuel s'étend au-delà de cette région de la province. Alors que le paysage forestier du nord est constamment menacé par les coupes à blanc, de plus en plus de pression quant à l'exploitation du potentiel des régions du Haut-Saint-Laurent s'exerce pour produire du bois sur les terres en déprise. Le hic, souligne la chercheuse, c'est que l'aménagement des terres privées est régie par la loi sur la protection du territoire agricole. «La réglementation gouvernementale joue un rôle nécessaire, en empêchant par exemple l'expansion des villes, mais elle peut aussi être critiquée: seules les terres qui ne sont pas assez bonnes pour la culture peuvent être réaffectées à d'autres usages, comme le reboisement.»

Ainsi, les propriétaires de terrains jugés trop pierreux ou inadéquats pour l'agriculture par le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec peuvent bénéficier de subventions du ministère des Ressources naturelles s'ils désirent s'adonner à la sylviculture. Les autres ont le choix: cultiver leur terre, la reboiser à leurs frais ou la laisser aller en friche!

Une étude précieuse
On compte sur les doigts d'une main les études menées sur les friches agricoles du Québec. C'est pourquoi les travaux de Karyne Benjamin, dirigés par Gérald Domon, professeur à la Faculté de l'aménagement, et André Bouchard, professeur au Département de sciences biologiques et directeur de l'Institut de recherche en biologie végétale, s'avèrent si précieux.

«Mon projet vise à cerner le potentiel des friches agricoles herbacées et arborescentes du sud-ouest québécois, mentionne la chercheuse. Mais avant de concevoir des aménagements adéquats pour ces milieux délaissés, on doit mieux comprendre les processus écologiques, sociaux et historiques sous-jacents au phénomène des friches.»

Le premier volet de sa recherche consistera donc à élaborer une typologie fonctionnelle des friches et à déterminer l'importance de l'historique de l'utilisation de ces terres en fonction de la forme et de la composition floristiques actuelles. Dans un deuxième temps, la chercheuse s'appliquera à dresser un portrait des propriétaires de friches de manière à mieux saisir leurs perceptions à l'égard des aménagements possibles pour leur friche, de même qu'envers les programmes et mesures d'aide en place pour favoriser l'aménagement du territoire. Finalement, le projet cernera les raisons politiques, sociologiques et économiques liées au contexte d'exploitation qui sont responsables de l'état actuel des friches agricoles.

«La compréhension de l'ensemble de ces facteurs permettra d'évaluer l'efficacité des programmes et mesures en place pour favoriser l'aménagement des friches ainsi que de prévoir l'évolution de ces milieux en déprise», fait valoir Mme Benjamin.

Dominique Nancy



 
Archives | Communiqués | Pour nous joindre | Calendrier des événements
Université de Montréal, Direction des communications et du recrutement