Édition du 9 juin 2003 / volume 37, numéro 24
 
  La loi 101: un cheval de Troie dans l’école française?
Autant de francophones que d’anglophones fréquentent le réseau scolaire de l’autre langue.

 

«La traversée des frontières scolaires par les francophones et les anglophones est un phénomène non négligeable dont on commence à peine à prendre conscience», affirme Marie Mc Andrew.

Le nombre de francophones fréquentant le secteur scolaire anglais est, en chiffre absolu, légèrement supérieur au nombre d’anglophones qui fréquentent le secteur français, c’est-à-dire 18 104 contre 17 442. En tenant compte de l’importance démographique des deux groupes linguistiques, ce ne sont toutefois que 2 % des élèves francophones qui fréquentent le secteur anglais, alors que plus de 18 % des anglophones fréquentent le secteur français. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, le phénomène n’est pas que montréalais et est observable dans plusieurs régions.

Ce sont, parmi de nombreuses statistiques, les données de base rendues publiques le 30 mai dernier par Marie Mc Andrew, professeure au Département d’administration et de fondements de l’éducation, au cours d’un séminaire sur les relations entre francophones et anglophones dans le système scolaire.

Cheval de Troie

Les données sont tirées d’une étude, cosignée par Paul Eid, chercheur au Centre d’études ethniques des universités montréalaises (CEETUM). Il s’agit d’une des premières recherches à analyser le phénomène particulier de la traversée des frontières linguistiques par des personnes appartenant à l’une ou l’autre des deux communautés disposant chacune de leur réseau scolaire. «Le milieu est moins homogène qu’on le croit, affirme Mme Mc Andrew. C’est un phénomène non négligeable dont la société québécoise commence à peine à prendre conscience.»

Trois facteurs expliqueraient le phénomène: le droit acquis par les francophones qui fréquentaient l’école anglaise avant la loi 101 et qui ont transmis ce droit à leurs descendants (ceux qu’on appelle les «ayants droit»); la possibilité, pour les anglophones, de choisir l’un ou l’autre des deux réseaux scolaires; et l’arrivée récente d’immigrants de langue maternelle anglaise obligés par la loi de fréquenter l’école française.
Le premier de ces facteurs explique 95,5 % des cas de francophones présents dans le secteur anglais, le reste demeurant «inexpliqué» par les statistiques. Quant aux anglophones à l’école française, seulement 27,7 % ont librement choisi ce secteur. L’immigration serait donc le principal facteur expliquant leur présence dans le secteur français.

«Il est fascinant de constater que, en faisant du français la langue commune de scolarisation des francophones et des nouveaux arrivants, la loi 101 a, de facto, contribué à la présence accrue – volontaire ou non – des anglophones et de leur langue au sein des écoles de langue française, écrivent les auteurs de l’étude. La métaphore du cheval de Troie, souvent utilisée en ce qui concerne les allophones et la diversité ethnoculturelle, pourrait être appliquée à ‘‘l’autre solitude’’.»

Du préscolaire au secondaire

La proportion d’élèves fréquentant l’autre secteur linguistique décroît au fur et à mesure qu’on progresse dans les échelons du système scolaire. Ainsi, près de 2,5 % de francophones fréquentent le réseau anglais au préscolaire, alors qu’ils ne sont plus que 1,4 % à le faire au secondaire. Le même phénomène s’observe chez les anglophones: près de 25 % fréquentent le préscolaire français, mais on n’en compte plus que 13,6 % au secondaire.

À première vue, on peut donc penser que les parents qui en ont le droit choisissent l’autre secteur linguistique surtout au début de la scolarisation et ramènent leurs enfants dans le secteur de leur langue maternelle au secondaire.

Le phénomène pourrait aussi illustrer une volonté grandissante de traverser la frontière linguistique chez ceux qui en ont le droit, ce qui se concrétiserait par une hausse, dans quelques années, de ces cas au secondaire. «Il nous faudra des données longitudinales pour confirmer l’une ou l’autre de ces hypothèses», indique Marie Mc Andrew.

Les deux chercheurs n’en sont pas moins portés à penser que le phénomène illustre davantage une volonté, chez les parents concernés, d’assurer à leurs enfants la maîtrise de la langue seconde afin de leur faciliter l’accès au marché du travail. Les données ne confirment pas l’hypothèse d’une «motivation intégrative» de la part des anglophones pour établir, à plus ou moins long terme, un réseau au sein du secteur français. Elles n’indiquent pas non plus de choix identitaire anglophile de la part des francophones concernés.

Plusieurs régions sont touchées

Du côté des francophones, les transferts linguistiques sont observables dans plusieurs régions. Montréal ne représente que 28 % des cas, alors que la Montérégie en compte près de 22 %. Le phénomène touche aussi de façon significative des régions plus éloignées de la métropole: on retrouve 10,4 % des transferts francophones dans les Laurentides, 7 % en Estrie, 4,4 % en Mauricie et presque autant dans Lanaudière. Il faut en fait regrouper six régions pour atteindre 80 % des transferts.

Les auteurs de l’étude soulignent que ces régions sont caractérisées par l’implantation de longue date d’une communauté anglophone et que la fréquentation de l’école anglaise par les francophones avant la loi 101 a dû laisser de nombreux «ayants droit».

Le séminaire, organisé par le Groupe de recherche sur l’ethnicité et l’adaptation au pluralisme en éducation et le CEETUM, était coprésidé par Gretta Chambers, présidente de la Commission de l’éducation en langue anglaise, et par Jean-Pierre Proulx, président du Conseil supérieur de l’éducation.

Daniel Baril



 
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