Édition du 9 juin 2003 / volume 37, numéro 24
 
  Les machos ne croient pas en Dieu!
Daniel Baril propose une interprétation darwinienne des différences intersexes en religion.

Daniel Baril

Peut-on prédire l’avenir? Près de la moitié des femmes (46 %) répondent par l’affirmative contre seulement le tiers des hommes. Cette statistique, révélée par le dernier sondage Léger Marketing sur les croyances des Québécois, ne surprend pas Daniel Baril, qui vient de terminer au Département d’anthropologie une maîtrise sur les différences intersexes et la religiosité. «Les femmes croient et pratiquent davantage une religion que les hommes. C’est un fait admis dans la littérature scientifique, peu importe l’indicateur qu’on choisit pour le mesurer», déclare-t-il.

Au cours des six dernières années, le reporter au journal Forum a consacré son temps libre (et une année sans solde) à l’étude des différences hommes-femmes en matière de religions et de croyances afin de proposer une analyse de ce phénomène qui l’intrigue depuis longtemps. Il a d’abord trouvé dans 45 études statistiques menées dans sept pays industrialisés la confirmation de ce qu’il soupçonnait: les femmes obtiennent des cotes plus élevées que les hommes lorsqu’on les questionne sur la pratique religieuse, la croyance en la vie après la mort, le rituel, le degré de la conviction ou l’adhésion à une religion.

Autre indice: les sondages d’opinion montrent que les hommes sont beaucoup plus nombreux à se dire athées ou sans religion. La seule exception réside dans la croyance aux extraterrestres. À ce chapitre, la proportion s’inverse; les hommes sont davantage persuadés de leur existence que les femmes.

Pourquoi les femmes ont-elles plus tendance à adhérer aux croyances religieuses que les hommes? C’est la question à 300 $, signale-t-il avec un sourire en coin. «Il semble que ce soit parce que la religion est l’expression de valeurs et d’habiletés psychosociales qu’on retrouve plus fortement chez les femmes.»

Dieu contre Darwin

Le mémoire de maîtrise présente une interprétation évolutionniste de cette différence homme-femme. Faisant appel à la théorie de Charles Darwin, appliquée au comportement humain, Daniel Baril a retenu trois ensembles de caractères propres à la femelle de l’homo sapiens: l’empathie, l’anxiété et la recherche d’un réseau d’aide. De plus, le profil masculin est ramené à trois grandes caractéristiques: les comportements à risque, les gestes violents et la recherche du pouvoir

Cette typologie prête flanc à la critique, bien sûr, mais il faut reconnaître que les femmes ont en général une attitude protectrice envers leur progéniture. Sensibles au danger qui menace leur foyer, elles sont plus anxieuses que les hommes. De même, elles ont tendance à établir autour d’elles des liens de solidarité. Par opposition, les hommes auraient hérité de leurs lointains ancêtres de caractères comme l’agressivité (utile contre les prédateurs et les ennemis) et la recherche du pouvoir: plus un mâle est dominant, plus il a des chances de s’accoupler…

Au terme de ses travaux, M. Baril soutient que, plus une personne présente un profil «féminin», plus elle sera encline à croire ou à adhérer à une religion, quel que soit le sexe de cette personne. Inversement, plus une personne présente un profil masculin, moins elle y sera sensible… Est-ce donc à dire que les vrais hommes ne croient pas en Dieu? «En tout cas, moi, j’ai déjà cru en Dieu, répond l’anthropologue. Ce n’est pas d’être un homme ou une femme qui prédispose aux croyances. C’est le profil psychosocial.»

Il y a bien entendu des exceptions à cette typologie, mais en règle générale une femme qui adopte des comportements à risque et qui aime le pouvoir affiche une faible religiosité. Et à l’inverse, un homme qui possède un profil comportemental féminin peut avoir une vie religieuse très intense.

«Daniel Baril a fait preuve de courage et de détermination, car, dès qu’on tente d’expliquer le comportement humain par l’évolution, on ouvre la porte à la controverse», dit son directeur, Bernard Chapais. Bien écrit, sobre et concis, ce mémoire a d’ailleurs valu à son auteur la mention «excellent» de la part du directeur de recherche.

Piège idéologique

Le fait de tracer une ligne entre les caractères masculins et féminins n’est évidemment pas sans risque du point de vue scientifique. Le chercheur a voulu être irréprochable sur le plan méthodologique. Il s’est servi d’un test reconnu en psychologie comportementale, le Bem Sex Role Inventory (BSRI), qui présente une soixantaine d’indicateurs témoignant des caractères sexuels, du plus féminin au plus masculin. Depuis près de 30 ans, le BSRI a fait ses preuves dans la plupart des pays industrialisés en matière de valeurs sociales sexuellement différenciées.

Cette grille d’analyse n’a pas pour objectif de justifier les stéréotypes, insiste Daniel Baril. «Nous possédons les moyens intellectuels et culturels de contrer les inégalités posées par les stéréotypes sexuels. À nous de les utiliser.»

Le cas George W. Bush

Ne dit-on pas que les religions, en plus d’assurer une communauté d’esprit à leurs adeptes, offrent des réponses aux angoisses existentielles? Elles atténuent ainsi l’anxiété de vivre. De même, l’amour universel prôné par certaines grandes religions comme le catholicisme («aime ton prochain comme toi-même») correspondrait à l’empathie.

Reste que des hommes peuvent prétendre s’en remettre aux principales valeurs religieuses tout en étant «typiquement masculins». L’exemple qui saute aux yeux est George W. Bush, dont la politique extérieure belliqueuse s’appuierait sur la volonté de Dieu… Ce cas est particulier, signale le diplômé. «Le président américain affiche une religion extrinsèque, utilitariste.»

Pour l’auteur des Mensonges de l’école catholique (VLB, 1995), le travail exploratoire sur l’évolutionnisme appliqué à l’étude des religions ne fait que commencer. Lui-même a un projet de rédaction sur le sujet: une version «vulgarisée» de son mémoire pourrait paraître sous sa plume d’ici la prochaine année.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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