Édition du 25 août 2003 / volume 38, numéro 1
 
  Le sud-ouest du Québec part en friche
Les sols délaissés par l’agriculture retournent souvent à l’état sauvage.

 

Pour Karyne Benjamin, le retour à l’état sauvage des terres autrefois cultivées n’est pas considéré comme un retour à la nature, mais plutôt comme une "fermeture du paysage".

«Sur le territoire de la province, on compte plus de 8000 km2 de friches agricoles. Cela représente 16 fois la superficie de l’île de Montréal», révèle Karyne Benjamin, qui rédige une thèse de doctorat à la Faculté de l’aménagement sur les dynamiques spatio-écologiques des friches herbacées et arborescentes du sud-ouest québécois.

Au Québec, ces terrains agricoles non utilisés sont concentrés dans les régions où la demande de terres est moins forte qu’ailleurs, faute de succession ou de candidats intéressés par l’exploitation. Par exemple, dans le Haut-Saint-Laurent, on constate un abandon progressif des surfaces arables les moins productives. Un phénomène d’autant plus étrange qu’entre Montréal et Québec, où la culture du maïs domine, les terrains agricoles se vendent comme des petits pains chauds. Il reste que, de 1961 à 1996, le territoire québécois cultivé a diminué de près de la moitié, passant de 3,2 millions d’hectares à 1,7 million environ.

Les campagnes subissent de plein fouet la déprise agricole, souvent associée à une morosité économique et à une dévitalisation du milieu social. De plus, les terres abandonnées au profit des broussailles et des ronces accueillent des monceaux de gravats déposés par des résidants indélicats: des congélateurs rouillés, des carcasses de voitures…

Alors, que faire? «On sait très peu de choses au sujet des friches du Québec. Ici, on commence à peine à s’intéresser à la déprise agricole, un phénomène pourtant reconnu depuis une décennie», déplore Karyne Benjamin, qui revient d’un stage de neuf semaines en France financé par la Fondation Daniel Arbour et Associés.

Grâce à une bourse d’excellence de 15 000 $, elle a parfait ses connaissances sur les pratiques liées à l’aménagement de ces terres agricoles laissées à l’abandon. «En France, dit l’étudiante, les types de friches sont différentes. Les terres n’y sont pas protégées par une loi gouvernementale; il y a donc beaucoup de spéculation immobilière. Mais on observe aussi une grande fierté chez les citoyens à l’égard des milieux naturels, qui sont perçus comme des biens collectifs.»

Pas sorti du bois

Doit-on s’inquiéter de l’étendue croissante des friches agricoles au Québec? «Les sols délaissés par l’agriculture n’ont pas d’effets préjudiciables sur la biodiversité, mais ils posent un grand défi à l’aménagement, répond Karyne Benjamin. Il est urgent de rebâtir le potentiel forestier dans le sud-ouest du Québec. Sans intervention de notre part, cela prendra au minimum une centaine d’années.»

Or, l’enjeu actuel s’étend au-delà de cette région de la province. Alors que le paysage forestier du nord est constamment menacé par les coupes à blanc, les régions du Haut-Saint-Laurent sont la cible de pressions croissantes en vue de reboiser leurs terres en déprise. Le hic, souligne la chercheuse, c’est que l’aménagement des terres privées est régi par la loi sur la protection du territoire agricole. «La réglementation gouvernementale joue un rôle nécessaire, en empêchant par exemple l’expansion des villes, mais elle peut aussi être critiquée: seules les terres qui ne sont pas assez bonnes pour la culture peuvent être réaffectées à d’autres usages, comme le reboisement.»

Ainsi, les propriétaires de terrains jugés trop pierreux ou inadéquats pour l’agriculture par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec peuvent bénéficier de subventions du ministère des Ressources naturelles s’ils désirent s’adonner à la sylviculture. Les autres ont le choix: cultiver leur terre, la reboiser à leurs frais ou encore la laisser aller en friche!

Une étude précieuse

On compte sur les doigts d’une main les études menées sur les friches agricoles du Québec. C’est pourquoi les travaux de Karyne Benjamin, dirigés par Gérald Domon, professeur à la Faculté de l’aménagement, et André Bouchard, professeur au Département de sciences biologiques et directeur de l’Institut de recherche en biologie végétale, s’avèrent si précieux.

Le premier volet de sa recherche consistera à élaborer une typologie fonctionnelle des friches et à déterminer l’importance accordée à l’historique de l’utilisation de ces terres en fonction de la forme et de la composition floristiques actuelles. Dans un deuxième temps, la chercheuse dressera un portrait des propriétaires de friches afin de mieux saisir leurs attentes. Finalement, le projet cernera les raisons politiques, sociologiques et économiques liées au contexte d’exploitation et expliquant l’état actuel des friches.

La compréhension de l’ensemble de ces facteurs permettra d’évaluer l’efficacité des programmes et mesures en place, de prévoir l’évolution de ces milieux en déprise et de favoriser l’aménagement des friches, fait valoir Mme Benjamin.

Dominique Nancy



 
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