Édition du 8 septembre 2003 / volume 38, numéro 3
 
  Quand le mont Saint-Hilaire était une île
Pierre Richard récrit la chronologie de la déglaciation de la vallée du Saint-Laurent.

Les Abénakis l’avaient appelé «wigwam» parce que sa forme rappelait ce type d’habitation. Champlain l’avait baptisé mont Fort en raison de son impressionnante falaise. Le mont Saint-Hilaire, où l’on trouve encore des vestiges de forêt vierge, est la montérégienne qui a le plus à offrir sur les plans des beautés naturelles et des connaissances scientifiques.

Les dizaines de milliers de visiteurs qui s’y rendent chaque année sont loin de se douter que le lac Hertel, sur les bords duquel ils s’arrêtent pour pique-niquer, a déjà été une petite anse au bord de la mer. Il y a 13 000 ans, le mont Saint-Hilaire était en effet une île. Et 500 ans auparavant, c’était une île entourée d’un océan de glace.

Ces faits sont évidemment connus depuis longtemps, mais Pierre Richard, professeur au Département de géographie, vient, avec son collègue Serge Occhietti, de rajeunir les événements de plus de 1000 ans. La mer de Champlain, qui a inondé la vallée du Saint-Laurent après la fonte des glaces dont l’Amérique du Nord était recouverte depuis 70 000 ans, a envahi la région il y a 13 000 ans (au lieu de 14 000 comme on le pensait jusqu’à maintenant) et s’en est retirée il y a 11 200 ans pour faire place à un lac d’eau douce.

Une révolution

La carte du mont Saint-Hilaire tel qu’il apparaissait il y a 13 000 ans. Le lac Hertel était alors une anse maritime et les terres hautes de l’île abritaient déjà une jeune forêt d’épinettes, de bouleaux et de pins. Les flèches indiquent les endroits des deux prélèvements.

Cela peut sembler anodin pour le promeneur, mais il en va tout autrement pour les géographes : « C’est une révolution dans nos conceptions de la durée de la mer de Champlain et de la vitesse du recul des glaces, affirme Pierre Richard. Nos données mettent fin à près de 50 années de doute et de querelles scientifiques relatifs à la chronologie de la déglaciation de la vallée du Saint-Laurent et de l’est de l’Amérique du Nord.»

Selon le chercheur, cette révision de la chronologie aura des répercussions majeures puisqu’elle permettra de mieux comprendre le comportement des glaces sous l’effet du réchauffement climatique et celui de la croûte terrestre après le retrait des glaciers continentaux. On pourra également mieux connaître l’effet des apports d’eaux de fonte sur les courants marins ainsi que les échanges d’énergie entre l’océan et l’atmosphère.

Le rajeunissement de la mer de Champlain permet en outre de raccorder la chronologie des événements avec les données recueillies dans les États de la Nouvelle-Angleterre. Ces données indiquent qu’il y a 13 500 ans le front du glacier continental se trouvait dans les Appalaches, près de la frontière américaine, ce qui concorde avec la déglaciation du sommet du mont Saint-Hilaire à la même époque. Mille ans plus tard (soit il y a 12 500 ans), le front du glacier était situé à la limite sud des Laurentides ; ce recul est considéré comme une déglaciation rapide.

Végétation de l’île

Cette carotte de sédiments, prélevée au fond du lac Hertel par le professeur Pierre Richard, contenait des résidus d’organismes marins datant d’il y a 13 000 ans, soit l’époque où la mer de Champlain recouvrait la dépression.

Pour obtenir ces données, le professeur Richard a analysé 13 carottes de sédiments prélevées au fond du lac Hertel et dans une tourbière (Hemlock Carr) située à un kilomètre du lac. Les carottes ont révélé des dépôts marins, reconnaissables par la présence de coquillages et de micro-organismes marins. C’est à partir de la datation de ces résidus organiques au carbone 14 que le professeur Richard et son équipe ont établi la chronologie.

Les prélèvements antérieurs, effectués au lac Hertel en 1966, n’avaient pas dévoilé d’extension marine dans le lac et l’on en avait déduit que la montée des eaux de la mer de Champlain s’était arrêtée plus bas que le lac. Le niveau de la mer de Champlain est maintenant fixé entre 190 et 200 mètres au-dessus du niveau actuel de la mer, soit environ 30 mètres plus haut que le lac Hertel actuel.

Ceci ne veut pas dire que l’océan de l’époque était plus élevé de 200 mètres, puisque la croûte terrestre était encore à ce moment profondément enfoncée dans le magma sous l’effet du poids des glaces. C’est d’ailleurs le relèvement de la croûte qui a provoqué le retrait de la mer de Champlain.

L’analyse du pollen et des résidus de plantes présents dans les carottes a par ailleurs permis de reconstituer la végétation du mont à l’époque où il était une île. Lorsque le sommet a été déglacé, une toundra a rapidement occupé les lieux. Sept cents ans plus tard, libérée du carcan de glace mais emprisonnée par l’eau, la montagne était déjà colonisée par l’épinette noire, le bouleau blanc et le pin blanc.

Le pollen de la tourbière Hemlock Carr indique également qu’il y a eu un retour du froid pendant la déglaciation, soit précisément entre 12 900 et 11 700 ans. « Les déglaciations ne se font jamais de façon continue, explique Pierre Richard. Il y a toujours des oscillations. » Le refroidissement observé était déjà connu (sous le nom de Dryas) et il a laissé des moraines sur des centaines de kilomètres, allant de Charlevoix jusqu’en Ontario, reconnaissables entre autres à Saint-Narcisse, dans les Basses-Laurentides.

Quant à savoir pourquoi les prélèvements de 1966, également soumis au carbone 14, n’ont pas livré les mêmes dates, le professeur Richard invoque la « contamination » des échantillons étudiés par le carbone ancien provenant de l’eau des glaciers. La faible activité isotopique de ce vieux carbone, ainsi que celle du carbone encore plus ancien issu des calcaires paléozoïques, a donné des âges trop vieux aux échantillons soumis à la datation.

Daniel Baril



 
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