Édition du 15 septembre 2003 / volume 38, numéro 4
 
  Une colle pour rebrancher les cellules nerveuses
Des chercheuses font un pas de plus dans le traitement des blessés médullaires.

Catherine Dubreuil, 25 ans, a déjà une carrière bien entamée en sciences neurologiques.

Selon une recherche menée au Département de pathologie et biologie cellulaire de la Faculté de médecine, une nouvelle molécule, la C3-05, pourrait permettre de diminuer les conséquences d’une rupture de la moelle épinière. «Si l’on traite les cellules nerveuses avec ce produit moins de 24 heures après une lésion, explique Catherine Dubreuil, on peut réduire de 50 % l’apoptose, soit la mort programmée des cellules. C’est ce que notre recherche démontre.»

Ce n’est pas là la seule découverte de la jeune étudiante au doctorat. Sa recherche a aussi révélé que la protéine Rho, bien connue des spécialistes pour son influence sur la régénérescence cellulaire, était bel et bien activée lorsque survenait une lésion de la moelle épinière. On soupçonnait que cette activation jouait un rôle majeur dans la réponse cellulaire après une lésion, mais on n’avait pas encore réussi à le démontrer sur des modèles animaux.

Les trois types de blessures infligées aux rats de laboratoire (contusion, section partielle et rupture complète) ont convergé vers le même constat quant à l’action de la protéine.

Trop beau pour être vrai

Cette découverte, récemment publiée dans le Journal of Cell Biology, constitue un pas important dans le secteur de la régénération de la moelle épinière, qui occupe des dizaines de laboratoires dans le monde. Il s’agit de la première démonstration avec des modèles animaux des propriétés protectrices de la molécule conçu par le laboratoire de Lisa McKerracher et dont la société Bioaxone possède les droits.

La professeure McKerracher a d’ailleurs intégré des extraits de la recherche de son étudiante à ses données précliniques, qui seront soumises à la Food and Drug Administration lorsque la compagnie fera sa demande d’autorisation pour des études cliniques. Si tout va bien, ces études pourraient débuter dès le printemps 2004. «L’intérêt du médicament que nous comptons mettre au point, c’est qu’il ne nécessite pas de greffe de moelle. Il consiste en un produit qu’on ajouterait à l’adhésif de fibrine, dont les chirurgiens se servent au cours de leurs interventions à la suite d’une lésion», explique Mme McKerracher.

La C3-05 pourrait créer les conditions propices à un rebranchement des circuits neuronaux, un phénomène qu’on croyait impossible il y a quelques années à peine. «Les cellules nerveuses sont très spéciales dans le corps humain, explique Catherine Dubreuil. Elles complètent leur développement biologique avant la naissance, et les terminaisons nerveuses se mettent en place au cours de la croissance. Mais dès l’âge adulte, leur déclin s’entame. Elles ont comme "consigne" de ne pas se régénérer si un accident survient. C’est ce processus que nous essayons d’inverser.»

La science, c’est pour les filles

Catherine Dubreuil, qui s’est jointe au personnel du laboratoire de Lisa McKerracher en 2000 après avoir obtenu un baccalauréat en sciences biologiques, est la preuve vivante que la recherche fondamentale, c’est «aussi l’affaire des filles», comme dit le slogan. Dès l’âge de 15 ans, elle menait ses premières expériences dans un laboratoire de l’hôpital Royal-Victoria. Puis, elle a trouvé un travail à temps partiel à l’Institut neurologique de Montréal: effectuer des cultures cellulaires et des manipulations le soir et la fin de semaine. Déjà à ce moment-là, elle sentait que la recherche scientifique était faite pour elle.

À son entrée au laboratoire de Mme McKerracher, elle participe à deux recherches d’étudiants qui ont également mené à des publications scientifiques. Son projet personnel, qui devait constituer son mémoire, s’avère assez important pour une thèse. Elle obtient donc un passage direct au doctorat.

Son travail a demandé de la détermination. La technique employée pour ses manipulations, le «pull down assay», n’avait jamais été utilisée in vivo en sciences neurologiques. Les résultats qu’elle a obtenus se sont révélés si étonnants que les responsables de la revue scientifique ont refusé la première version de son article. «Ils ne voulaient pas le croire, raconte avec fierté la directrice du laboratoire. Nous avons donc mené d’autres expériences pour consolider la preuve.»

Catherine Dubreuil s’est illustrée en remportant un premier prix (catégorie «présentation orale») à la Journée scientifique du Département, qui a eu lieu le 3 septembre dernier. Elle n’a pas d’objectif précis pour sa carrière (milieu universitaire ou industrie), mais elle compte poursuivre en recherche. Elle a déjà décidé de faire un postdoctorat lorsque son doctorat sera terminé, c’est-à-dire d’ici deux ans.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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