Édition du 22 septembre 2003 / volume 38, numéro 5
 
  Découverte des plus anciens vestiges archéologiques du Québec
Les paléoindiens de la culture Clovis ont bel et bien foulé le sol québécois il y a 10 000 ans.

Des étudiants de l’école de fouilles en plein travail sur le site du lac aux Araignées.

La découverte est majeure pour l’histoire de l’archéologie québécoise et pour l’histoire tout court: l’équipe de l’école de fouilles du Département d’anthropologie, dirigée par le professeur Claude Chapdelaine, a mis au jour des pointes de lances typiques de la culture paléoindienne Clovis remontant à plus de 10 000 ans.

La culture Clovis représente la plus ancienne trace d’occupation humaine en Amérique du Nord et c’est la première fois que des artéfacts de cette tradition sont retrouvés au Québec. La découverte inespérée a été faite dans le secteur du lac aux Araignées, près du lac Mégantic, où l’école de fouilles a porté ses pénates il y a deux ans.

L’emplacement est situé dans un col où, selon le professeur Chapdelaine, devaient passer les troupeaux de caribous lorsque le territoire était encore une toundra. C’est en suivant les troupeaux que les chasseurs auraient pénétré dans le territoire.

«Il nous manquait une pièce et maintenant nous l’avons», déclare l’archéologue, manifestement heureux d’avoir mis la main sur ce chaînon manquant. «Ces pièces marquent vraiment le début de l’histoire. Avant, le territoire était sous l’eau et, avant l’eau, il était sous la glace.»

Claude Chapdelaine

Sur le même site l’an dernier, l’archéologue avait exhumé quantité d’artéfacts de la période archaïque indiquant que la région avait été occupée par des chasseurs nomades il y a 8000 ans (voir «Sur la piste des Méganticois», 4 novembre 2002, dans iForum). Après avoir échoué dans sa tentative de découvrir des pièces plus anciennes, notamment dans la vallée du Richelieu, dans la plaine du Saint-Laurent et près de Rimouski, Claude Chapdelaine était convaincu qu’on ne trouverait pas d’indices de culture paléoindienne au Québec, le climat de l’époque étant à son avis trop rude pour une occupation humaine.

«Aujourd’hui, je constate que j’ai fait un fou de moi en faisant cette affirmation, mais je suis un fou heureux», lance-t-il. L’archéologie québécoise ne sera plus en reste avec l’archéologie américaine, qui a déjà permis la découverte de nombreuses pièces de la culture Clovis juste au sud de la frontière.

Ces paléoindiens sont venus de l’Ouest américain et se sont établis à l’est du Mississippi il y a 11 000 ans. Le professeur estime donc que les trois pièces exhumées au lac aux Araignées ont été taillées il y a environ 10 500 ans.

Tradition Clovis: utilitaire ou rituelle?

Le nom de Clovis, donné aux paléoindiens d’il y a 10 000 à 12 000 ans, vient d’une petite ville du Nouveau-Mexique où les premières pointes de flèches caractéristiques de cette culture ont été mises au jour.

Ces pointes se distinguent par une cannelure longitudinale au bas de la pointe. «Dès qu’on observe cette cannelure, il n’y a pas de doute possible: la pièce appartient à la culture Clovis, affirme le professeur. Et tant qu’on n’a pas découvert de telles pièces, on ne peut affirmer être en présence d’artéfacts paléoindiens.»

Les archéologues attribuent généralement un rôle fonctionnel aux cannelures, qui facilitent l’emmanchement de la pointe sur la lance. Mais Claude Chapdelaine doute de cette explication.

«Le taillage des cannelures constitue une véritable prouesse technique, commente-t-il. L’artisan risque de casser la pièce alors que les cannelures ne sont pas essentielles à l’emmanchement. Les tailleurs ont procédé de la sorte pendant 2000 ans, puis ils ont cessé: les pointes moins anciennes n’ont pas de cannelures.»

L’anthropologue avance sa propre hypothèse: les cannelures auraient plutôt une fonction rituelle. «Il pourrait s’agir d’un signe magico-religieux, une sorte de code entre le chasseur et l’esprit des animaux, ou encore du symbole d’une identité tribale», avance-t-il, tout en reconnaissant que l’hypothèse reste indémontrable. La variété dans les cannelures pourrait appuyer son hypothèse au détriment de la fonction utilitaire: la moitié seulement des pointes ont des cannelures sur les deux côtés, les autres n’étant entaillées que sur une face.

Porté par la vague

Le professeur Chapdelaine, qui avait lui-même suggéré d’entreprendre des fouilles dans la région du lac Mégantic dès 1985, avoue qu’il ne s’attendait pas à être aussi chanceux aussi rapidement. Cette chance, il tient à la partager avec son codirecteur Pierre Corbeil, son assistant de recherche Simon Beaulieu et les 10 stagiaires de l’école.

Et il n’imagine pas revivre l’expérience d’une telle trouvaille de sitôt. «Mais dans trois ans, je serai encore content. Maintenant que nous avons déterré des pièces paléoindiennes, on pourra en apprendre davantage sur la culture Clovis en étudiant l’environnement physique de l’époque, qui était tout à fait différent de celui d’aujourd’hui.»

Pour reconstituer l’histoire de cet environnement, il compte demander à des collègues géographes d’effectuer des analyses polliniques afin de déterminer si le territoire était une toundra ou une taïga, ce qui permettrait de recréer le mode de vie de cette tribu Clovis.

Daniel Baril

 Nouvelle découverte
Depuis que la nouvelle de la mise au jour des pièces de tradition Clovis a fait le tour des médias en août
dernier, Claude Chapdelaine a fait une autre découverte intéressante: deux des pièces trouvées dans le même puits s’emboîtent parfaitement! Il s’agit en fait de deux morceaux d’une même pointe, sans doute abandonnée sur place parce qu’elle était déjà brisée. «Il est très rare de retrouver des pièces complètes, souligne Claude Chapdelaine. Ce qu’on exhume, ce sont généralement des pièces brisées ou des restants de taille parce que les chasseurs emportaient avec eux les bonnes pièces.» La pierre dans laquelle ces pointes sont taillées provient de 200 km plus au sud, dans l’État du New Hampshire.

 

 

 

 



 
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