Édition du 6 octobre 2003 / volume 38, numéro 7
 
  S’endormir au son des vagues dans N.-D.-G.
Une expérience inusitée de masquage des bruits de chantier se déroule en bordure de l’autoroute Décarie.

À l’aide d’un audiomètre, Tony Leroux mesure l’intensité sonore des bruits du chantier du boulevard Décarie, à la sortie du tunnel de la rue Sherbrooke.

Des résidants qui en avaient assez des bruits infernaux du chantier de construction de l’autoroute Décarie peuvent maintenant s’endormir au son des vagues et du vent dans les feuilles.

Une expérience pour le moins inusitée, dirigée par le professeur Tony Leroux, du Département d’orthophonie et d’audiologie, est en cours dans la zone résidentielle aux abords de la place Grove Hill, dans l’arrondissement Notre-Dame-de-Grâce: pour masquer les bruits du chantier du viaduc de la rue Sherbrooke la nuit, des haut-parleurs diffusent en plein air des enregistrements de vagues et de vent.

À la suite des plaintes des résidants de ce secteur, le ministère des Transports a en effet mandaté le professeur Leroux pour réaliser cette expérience, qui est une première au Canada et peut-être dans le monde. «L’objectif est de créer un protocole utilisable sur l’ensemble des chantiers du ministère des Transports, explique le professeur. Aucune étude du genre n’a jamais été menée. On a bien procédé à l’installation de fontaines permanentes en bordure d’axes routiers achalandés, mais sans étude d’impact sur l’avant et l’après, sans évaluation de la satisfaction des résidants.»

Marteaux-piqueurs, alarmes de recul et autres

Dans un premier temps, Tony Leroux a dû déterminer la source et la nature des bruits du chantier, ainsi que leur importance en décibels. «Les ouvriers procèdent actuellement à l’enlèvement du béton du viaduc au moyen de jets d’eau qui font un bruit assourdissant, signale-t-il. Il y a également des ventilateurs hyperpuissants utilisés pour dégager le tunnel. Ceci en plus des marteaux-piqueurs, des scies à béton, des alarmes de recul et des ancreuses de piliers.»

À une distance de 50 à 100 m du chantier, le bruit atteint de 55 à 60 décibels (dB). Avec la réflexion des sons sur les immeubles, le niveau peut monter à 63 dB si l’on s’éloigne davantage du chantier. Même à ce niveau, ce n’est pas très bruyant puisque le son demeure inférieur au bruit ambiant habituel de l’autoroute, qui atteint 75 dB la nuit.

«Le problème, explique le professeur, c’est que les bruits du chantier ne sont pas continus, contrairement au bruit de l’autoroute, que les résidants finissent par ne plus entendre lorsqu’ils s’endorment. Comme l’autoroute est fermée la nuit pour permettre les travaux, ce bruit ambiant n’est plus là pour couvrir les bruits intermittents du chantier.»

Le résultat, c’est qu’au moment où l’on parvient à s’endormir dans un calme relatif une alarme de recul se fait entendre ou les jets d’eau se mettent à siffler. Paradoxalement, l’autoroute fermée devient plus bruyante que lorsqu’elle est ouverte.

Le bruit des vagues

Tony Leroux a eu l’idée de masquer ces bruits par d’autres bruits constants et d’un niveau supérieur en décibels. "En laboratoire, nous avons testé une douzaine de sons pour vérifier, auprès d’une soixantaine de sujets, lesquels étaient à la fois les plus agréables et les plus masquants."

Les sons utilisés étaient diverses variantes de bruits de pluie, de vent, de vagues, d’insectes et même de circulation automobile. Le son du vent dans les feuilles et celui des vagues ont été jugés les plus agréables et les plus masquants par les expérimentateurs. Le professeur Leroux a donc retenu ces deux sons afin de poursuivre son expérience sur le terrain: depuis maintenant une semaine et pour les deux semaines à venir, des haut-parleurs diffusent des enregistrements de ces bruits à un niveau de 60 à 65 dB les nuits où s’effectuent les travaux.

L’effet de cette diffusion extérieure sera évalué quotidiennement par un groupe de résidants, alors qu’un second groupe estimera l’effet d’une diffusion du son à l’intérieur de leur chambre à coucher.

Tony Leroux n’est pas sans se questionner sur l’acceptabilité sociale de cette expérience. Comme aucune autre recherche du genre n’a jamais été réalisée, il ignore comment le public réagira. «Tous les résidants ont été informés de l’expérience en cours et ont en main un numéro de téléphone pour déposer d’éventuelles plaintes», souligne-t-il. Si trop de gens appellent pour dire «Chus tanné d’entendre le bruit des vagues», le chercheur mettra fin au volet extérieur de l’expérience tout en poursuivant le volet de diffusion intérieure.

Un rapport de recherche devrait être remis au ministère des Transports en décembre. Si l’expérience est concluante, elle pourrait être reprise sur d’autres chantiers.

Daniel Baril



 
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