Édition du 20 octobre 2003 / volume 38, numéro 8
 
  Petit Robert et big-bang
Le Petit Robert permet à «l’honnête homme» de comprendre le discours scientifique.

François Wesemael

L’exercice était risqué, mais le sujet a passé l’épreuve de façon plus qu’honorable. Le Petit Robert a en effet relevé le défi de taille que lui ont lancé les responsables de la 1re Journée québécoise des dictionnaires, tenue le 9 octobre denier, qui voulaient mesurer l’exactitude de son contenu à l’aune de la science.

Pour ce faire, ils ont demandé à François Wesemael, professeur d’astrophysique au Département de physique, et à Roland Wesemaël, traducteur parlementaire retraité, d’évaluer les définitions de certains termes du Petit Robert en prenant notamment la physique comme point de repère.

Les scientifiques ne doivent pas s’attendre à trouver dans un dictionnaire culturel – soit un ouvrage qui donne accès à la compréhension du discours d’un groupe humain particulier – les réponses à toutes les questions relatives au vocabulaire de leur spécialité, a d’abord indiqué le professeur. Toutefois, ils sont en droit de s’attendre à ce qu’un tel dictionnaire d’usage courant véhicule une image juste de la science.

Dans un premier test, MM. Wesemael et Wesemaël ont extrait 40 termes scientifiques de trois articles du numéro de juillet 2000 du mensuel de vulgarisation Pour la science et en ont examiné les définitions dans l’édition 2002 du Petit Robert. De ces 40 termes jugés par eux «problématiques», seulement 2 – pinène et nérol – ne figuraient pas dans le dictionnaire.

Les autres termes, parmi lesquels ont trouve «génome», «collisionneur», «ensilage», «inertiel», «gauss», «gigapascal», «quantique» et «tritium», étaient tous définis de façon satisfaisante aux yeux des scientifiques et accompagnés d’exemples d’utilisation correcte.

Le Petit Robert permet donc une lecture intelligente des textes sélectionnés, en ont conclu les deux chercheurs. «Il permet d’approfondir de façon acceptable des concepts avec lesquels nous étions déjà familiarisés et transmet une image relativement fidèle de la science.»

Patience dans l’azur

Une seconde épreuve a consisté à vérifier les définitions d’une autre série de termes liés à l’astrophysique puisés dans le volume d’Hubert Reeves Patience dans l’azur. Même si les expressions retenues sont d’usage courant, l’astrophysique véhicule «de nombreux termes archaïques déroutant pour un non-spécialiste», a souligné François Wesemael.

Une étoile filante n’est pas une étoile et une nébuleuse planétaire n’est pas une planète, a-t-il donné comme exemples. Malgré ces embûches, les définitions présentées se sont de nouveau avérées, pour la plupart, «adéquates et satisfaisantes».

La définition d’une supernova est même qualifiée de «merveille de concision et de précision laissant le spécialiste pantois».

Toutefois, les deux scientifiques ont relevé certaines définitions jugées trop imprécises ou même erronées. Ainsi la naine blanche est présentée comme une étoile naine de couleur blanche, alors que ce type d’étoile est fondamentalement différent des naines. Ici, Le Petit Robert serait tombé dans un des pièges de la nomenclature astronomique. Le superamas est par ailleurs présenté comme «un amas d’amas galactiques», ce qui voudrait dire «un amas d’amas dans la galaxie», alors qu’il s’agit d’«un amas d’amas de galaxies».

La définition même de «galaxie» laisse nos spécialistes insatisfaits puisqu’elle exclut les galaxies qui n’ont pas de forme spirale. La définition du pulsar ne refléterait pas, quant à elle, les connaissances scientifiques acquises sur ce type d’objets depuis la fin des années 60.

Malgré ces lacunes et quelques autres, François Wesemael et Roland Wesemaël concluent que, dans l’ensemble, Le Petit Robert joue «admirablement bien le rôle qui lui est dévolu: celui de refléter la richesse et la précision de notre langue», et répond «aux attentes de l’honnête homme à l’égard de la science».

Pourquoi Le Petit Robert ?

Cette 1re journée québécoise des dictionnaires, inspirée de la Journée des dictionnaires, qui se déroule annuellement en France, était entièrement consacrée aux dictionnaires Le Robert.

La principale organisatrice de l’événement, Monique Cormier, professeure au Département de linguistique et de traduction de l’UdeM, a expliqué que ce choix a été spontané en raison de la place importante qu’occupe Le Robert dans la vie des Québécois. «Le Robert occupe une place équivalente à celle du Larousse pour la génération précédente et il est l’outil le plus utilisé par les spécialistes de la langue», affirme-t-elle.

Le Robert aurait, à son avis, marqué un point de rupture chronologique dans l’histoire des dictionnaires et il n’aurait pas encore donné lieu à un corps d’études qui lui rende justice.

Mme Cormier voulait également profiter de l’événement pour inviter à Montréal Alain Rey, coresponsable des dictionnaires Le Robert avec Josette Rey-Debove et qui voue une affection certaine au Québec.

Les actes du colloque, publiés par les Presses de l’Université de Montréal sous le titre Les dictionnaires Le Robert: genèse et évolution, sont déjà en vente.

Daniel Baril

La révolution tranquille des dictionnaires Robert

 
 
C’est une véritable renaissance des dictionnaires que provoqua, en 1953, la parution du premier volume du Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, publié par Paul Robert. Il ne s’était rien passé de nouveau dans le domaine depuis plus de 50 ans.

La principale innovation de cet ouvrage était d’intégrer, à l’approche lexicographique traditionnelle, une approche analogique déjà proposée par Jean-Baptiste Boissière en 1862. Le tout dans le respect des principes de la linguistique de Saussure et enrichi de citations littéraires donnant le contexte de l’utilisation de chaque mot ainsi que l’évolution des usages.

L’entreprise a revêtu un caractère «discrètement révolutionnaire», a soutenu Alain Rey, collaborateur de la première heure de Paul Robert. M. Rey a prononcé la conférence d’ouverture de la 1re Journée québécoise des dictionnaires. La publication du premier dictionnaire alphabétique et analogique, suivie du Petit Robert en 1967 et du Grand Robert en 1985, a tiré de leur torpeur les autres éditeurs, qui ont dû s’adapter à ces nouveaux venus. Le renouveau a également suscité la production de dictionnaires québécois, belges et suisses.

Sans accorder tout le crédit à son entreprise, Alain Rey, qualifie ce soubresaut de «révolution tranquille». Il utilise cette expression non seulement pour marquer son attachement envers le Québec, mais aussi parce que «seule la tranquillité dans le traitement des difficultés est de nature à faire réussir des évolutions et des transgressions».

Entre autres transgressions des règles établies, Le Petit Robert a été le premier à répertorier des termes propres au français du Québec, de la Wallonie, du Maroc ou de la Tunisie, et à ajouter des significations particulières au français de ces régions. Simultanément, les dictionnaires Le Robert ont fait plus de place que leurs concurrents aux régionalismes usités à l’intérieur même de la France.

Alain Rey a toutefois reconnu que les premières expériences d’intégration de termes propres au français hors de France étaient teintées d’un préjugé culturel puisque ces entrées étaient séparées de celles du français de France.

Le Petit Robert serait en outre le seul dictionnaire de cette catégorie à connaître des modifications et des ajouts annuels, alors que, parmi les grands dictionnaires, seul Le Grand Robert peut s’enorgueillir d’avoir connu trois éditions évolutives en moins de 50 ans.

Alain Rey a par ailleurs profité de ce colloque pour annoncer la sortie prochaine d’un dictionnaire de taille intermédiaire dont le contenu enrichi et les descriptions augmentées viseront à montrer que les mots essentiels du lexique français donnent accès à des contenus culturels interlinguistiques et internationaux.

Daniel Baril

 



 
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