Édition du 20 octobre 2003 / volume 38, numéro 8
 
  Côtoyer les chars d’assaut pour comprendre les crises politiques
Des professeurs organisent, du 23 au 25 octobre, un colloque sur l’intervention humanitaire et militaire.

Dans le cadre de leur travail d’anthropologues, Annie Lafontaine et Mariella Pandolfi n’ont pas peur d’aller dans des pays en crise.

«Mon agenda! Rendez-moi mon agenda!»

C’est ce qu’a lancé Mariella Pandolfi aux hommes masqués, armés de kalachnikovs, qui avaient intercepté la voiture dans laquelle elle circulait avec quelques Albanais dans les années 90. «Je ne sais pas ce qui m’a pris de risquer ma vie pour mon agenda, commente-t-elle avec un sourire. C’était plus fort que moi: tous mes contacts étaient dans ce petit livre. Je me moquais bien de l’auto et de l’argent volés, mais je ne pouvais imaginer ma présence en Albanie sans mon agenda.»

Un des malfrats en fuite a semblé être touché par l’appel de la dame et, dans un geste théâtral et inattendu, a jeté par la fenêtre l’agenda. Elle n’a eu qu’à le récupérer sur le bord de la route.

Pour Mme Pandolfi, cet incident aurait pu être dramatique. Au contraire, il lui a plutôt donné l’envie, par la violence à laquelle elle faisait face, d’aller plus loin dans son travail sur le terrain. Chaque année, grâce à ses «contacts», elle se rend dans les Balkans interviewer des hommes et des femmes pour ses travaux en anthropologie. Depuis près de 10 ans, cette incarnation moderne d’Indiana Jones s’intéresse aux situations de crise; elle n’a pas peur de côtoyer les chars d’assaut et de braver les couvre-feux pour avoir accès aux gens ordinaires.

C’est au cours de ses observations dans les Balkans que lui est venue l’idée de rassembler dans un même lieu des gens de plusieurs disciplines qui s’intéressent à la question de l’intervention. Mais avant même d’organiser ce colloque, elle et ses collègues Marie-Joëlle Zahar et Laurence McFalls, professeurs au Département de science politique, ont tenté de combler le fossé disciplinaire en formant une équipe de recherche pour travailler à cette problématique. Marie-Joëlle Zahar a effectué des recherches sur le terrain au Liban et en Bosnie-Herzégovine. C’est une experte de la résolution de conflits et de la question de la reconstruction. Laurence McFalls a travaillé dans l’ex-Allemagne de l’Est et est expert de l’intervention en transferts des systèmes et des compétences et de leurs effets sur les processus de démocratisation.

Le colloque qui débutera le 23 octobre, intitulé «Autour de l’intervention: protagonistes, logiques, effets», rassemblera donc des spécialistes d’Europe, du Canada et des États-Unis. Des conférenciers de Bosnie-Herzégovine et d’Albanie sont aussi attendus. «Nous pensons qu’un dialogue entre chercheurs et étudiants des cycles supérieurs qui élaborent des axes théoriques et des travaux sur le terrain dans ce secteur et les gens qui ont une responsabilité majeure dans le domaine de l’intervention est absolument nécessaire», peut-on lire dans le texte d’introduction du colloque. Mme Pandolfi ajoute que le Canada était une terre tout indiquée pour accueillir cette rencontre «compte tenu du rôle important que joue ce pays dans l’intervention internationale, notamment dans les Balkans.»

Approche critique

À cause de cet agenda, Mariella Pandolfi a risqué sa vie.

Au cours de ses travaux, Mme Pandolfi a eu l’occasion de constater que les actions humanitaires avaient une influence parfois déterminante sur l’évolution des peuples en crise. «On parle beaucoup ces dernières années de guerre juste, dit-elle. Selon ce concept, l’intervention militaire est justifiée si la cause en vaut la peine. Alors, on envoie des bombes, puis des convois humanitaires. J’ai pu observer sur le terrain le résultat de cette approche et je ne suis pas certaine qu’elle corresponde à ce que les médias nous présentent.»

Alors que les caméras de télévision sont braquées sur le sénateur Arnold Schwarzenegger, on oublie parfois que l’Irak, l’Afghanistan et l’ex-Yougoslavie ont goûté à ce concept de guerre juste. «Quand l’anthropologue travaille dans une zone de guerre, il peut être confronté à des catastrophes humanitaires. Il doit conserver une pensée critique.»

Le «devoir d’ingérence» des organismes comme l’ONU, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe peut entraîner des conséquences fâcheuses. «En tout cas, nous estimons nécessaire de réfléchir à haute voix là-dessus», signale Mme Pandolfi.

Ancienne étudiante de l’Université de Montréal, Annie Lafontaine, chercheuse postdoctorale au Laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales (CNRS), en France, s’est jointe au comité organisateur, formé également de Laurence McFalls et de Marie-Joëlle Zahar. Elle aussi anthropologue de terrain, elle a appris à maîtriser la langue locale durant ses séjours répétés au Kosovo. Au cours de ses 150 entrevues avec des Kosovars, dont une cinquantaine ont été enregistrées, elle a pu mesurer l’impact des interventions humanitaires pendant les mouvements massifs de population avant et après la guerre. «Notre expérience s’est déroulée dans les Balkans, mais nous estimons que nos observations peuvent être étendues à d’autres espaces géographiques», explique-t-elle à Forum.

Intervention au sens large

Les conférenciers attendus à Montréal cette semaine proviennent de différentes sphères de l’activité humaine. Andrée Ruffo, juge à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec et fondatrice du Bureau international des droits des enfants, posera la question de la violence envers les enfants. «L’homme peut-il apprendre ou se condamne-t-il à répéter sans fin une histoire incomprise dont on cherche à nier, banaliser, occulter les conséquences d’interventions violentes et perverses des uns et surtout l’intolérable désespoir des autres?»

Pino Arlacchi, sociologue italien connu pour sa lutte contre la mafia (il était un ami du juge Falcone) et ancien sous-secrétaire général des Nations Unies à Vienne, parlera du rôle attendu de l’ONU en matière d’intervention.

On attend aussi Fatos Lubonja, écrivain et journaliste albanais qui est un véritable héros dans son pays. Il est appelé le «Mandela albanais», car il a été emprisonné pour des raisons politiques pendant 17 ans sous le régime d’Enver Hoxha. Il s’interrogera sur le rôle des organismes humanitaires occidentaux dans un pays de l’ancien régime communiste.

Enfin, ce colloque pourra compter sur la participation précieuse des anthropologues qui ont changé de façon radicale l’anthropologie contemporaine, selon Mme Pandolfi.

On peut consulter l’horaire complet du colloque à l’adresse < www.anthro.umontreal.ca/varia/acrobat/interv_program.pdf > ou communiquer avec Janique Johnson-Lafleur au (514) 343-6111, poste 4272, ou à < j.johnson-lafleur@umontreal.ca 

Mathieu-Robert Sauvé



 
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