Édition du 20 octobre 2003 / volume 38, numéro 8
 
  Un centre d’hébergement pas comme les autres
Forum visite la maison L’escalier, bénéficiaire de la campagne UdeM.

Jean-Pierre Sawtune, un jeune employé (à gauche), et Jacques Baillargeon, directeur général de L’escalier. «Cette année, nous aurons vendu pour 800 000 $ de petits pots de confiture», dit fièrement ce dernier.

«J’vous apprends rien quand j’dis qu’on est rien sans amour», chante Paul Piché dans L’escalier. C’est cette chanson qui a donné son nom à la maison d’hébergement qu’a fondée Jacques Baillargeon dans l’est de Montréal il y a 15 ans. Aujourd’hui, le centre de la rue Ontario permet à 20 jeunes (8 filles et 12 gars) d’occuper un logement à loyer modique pour une période transitoire. L’entreprise de distribution du même nom, située en face, s’est greffée à la maison en 1992 afin de procurer du travail aux jeunes sans expérience professionnelle. Cela facilite leur intégration à la vie active.

À l’occasion de la campagne Centraide, Forum a visité cette entreprise spécialisée dans les produits du terroir québécois. Une activité fébrile y règne en ce vendredi après-midi. Autour d’une table, quatre jeunes préparent l’envoi vers une boutique de pots de confiture de l’île d’Orléans, de savons au lait de chèvre et de moutarde fine à la bière. «Notre particularité, ici, est la distribution de produits fins à cent pour cent québécois, explique M. Baillargeon, un gaillard aux yeux bleu clair. Nous offrons un service professionnel à 24 producteurs. Leurs produits sont acheminés dans 325 commerces.»

La directrice des ventes, Pauline Picotin, a son bureau au deuxième étage du bâtiment. Elle occupe son poste avec compétence et détermination, selon M. Baillargeon. Pourtant, elle n’en menait pas large quand elle est arrivée dans le quartier. Sa période d’hébergement à la maison L’escalier lui a permis de se prendre en main, puis de se consacrer pleinement à sa nouvelle profession. Cette année, le chiffre d’affaires de l’entreprise atteindra les 800 000 $.

Visite des Distributions L’escalier

La plupart des employés des Distributions L’escalier connaissent ici une première expérience de travail. Elle leur permet de briser le cercle vicieux du manque d’expérience donc pas d’embauchage. «Au moins ces jeunes peuvent par la suite se présenter dans un service de restauration rapide avec un CV», raconte le patron. «J’aime bien mon travail, dit Mélissa Labelle, 23 ans, gérante de la boutique Les champêtreries, au 3606, rue Ontario, par où l’on passe pour aller vers l’atelier; c’est ma première expérience dans ce domaine et je compte bien en profiter.»

Pour travailler ici, il faut être âgé de 18 à 30 ans et avoir traversé une mauvaise passe. Comme dans la chanson, le jeune doit comprendre qu’il a fait un «très très grand détour pour aboutir seul dans un escalier».

Mais pas de charité gratuite, affirme le fondateur. «Une condition d’admission est la volonté de s’en sortir. Ce milieu de travail doit ressembler le plus possible à la vraie vie.»

Les employés des Distributions L’escalier travaillent 35 heures par semaine pendant six mois. Mais grâce à une subvention d’Emploi Québec, ils peuvent s’inscrire à des séances de formation durant cette période sans voir leur salaire diminuer. Plusieurs suivent ainsi des cours de français, de mathématiques ou autres. Cela leur permet d’amorcer un retour à l’école.

Si l’on additionne le budget de la maison d’hébergement et celui de l’entreprise de distribution, ce sont près de deux millions de dollars qui sont nécessaires au fonctionnement des deux unités. À peine 100 000 $ (dont les trois quarts sont consacrés aux habitations) proviennent des dons versés à Centraide. «Cette somme peut sembler peu de chose, commente M. Baillargeon. Mais pour nous, elle représente presque quatre salaires. C’est énorme.»

Depuis quelques années, la subvention de Centraide est permanente, ce qui signifie que le directeur est assuré d’un financement annuel. Plus besoin de vendre des chandails ou des crayons ni d’organiser des bingos.

Les habitations L’escalier

Aux habitations L’escalier, où le taux d’occupation dépasse les 90 %, on héberge des gens qui n’ont pas d’argent, mais ils ont deux semaines pour se trouver du travail et rembourser leurs dettes. «La maison n’est pas un centre d’accueil pour itinérants, précise Jacques Baillargeon. Les jeunes doivent se prendre en main, sinon leur place n’est pas ici.»

Chaque année, environ 70 jeunes de 18 à 30 ans occupent les 20 logements pour des séjours qui varient de trois mois à un an. On y rencontre des gens aux prises avec des problèmes de santé mentale – déficience légère, troubles du comportement –, de toxicomanie ou de délinquance. «Une bonne partie de nos jeunes ont été maltraités sexuellement. Ils sont meurtris, blessés. Mais ils n’ont pas besoin de pitié. Ils veulent qu’on les considère comme des adultes. Tout ce qui est gratuit, ici, c’est notre amour, notre écoute. Pour le reste, c’est comme dans la vraie vie.»

Pourquoi L’escalier? En raison de l’image de transition et de précarité exprimée par la chanson. «J’aimais bien cette idée du passage entre deux étages. Je trouvais que ça nous correspondait bien», dit cet ancien machiniste qui s’est consacré au secteur communautaire après l’annonce de la fermeture de son usine dans l’est de Montréal.

M. Baillargeon, malgré sa stature de bûcheron, a de l’amour à revendre. «Je n’accepte pas que des jeunes soient maltraités, exploités et violentés. Ça me révolte et me fait hurler.»

«Pour aider l’monde, faut savoir être aimé», chante encore Paul Piché. Pour Jacques Baillargeon, pas de problème. Il aime les jeunes et ceux-ci le lui rendent bien.

Mathieu-Robert Sauvé



 
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