Édition du 27 octobre 2003 / volume 38, numéro 9
 
  Zachary Richard chante la Louisiane
Le chanteur se fait ethnologue à la Faculté de musique.

Zachary Richard

Les maringouins ont mangé ma belle

N’ont laissé que les orteils

Sont comme des bouchons de liège

Pour mes demi-bouteilles.

«Il n’y a que dans les bayous qu’on a pu inventer une chose pareille!» a lancé un Zachary Richard hilare à la cinquantaine d’étudiants en musique qui sont venus le rencontrer le 8 octobre dernier, au cours d’un séminaire en ethnomusicologie sous la direction de Monique Desroches. Le poète, compositeur et interprète, qui est aussi une encyclopédie vivante pour tout ce qui touche à la Louisiane, a présenté sa version de l’histoire de la musique entre La Nouvelle-Orléans et le Texas. Conférencier impressionnant, il a agrémenté son propos de légendes et de chants traditionnels.

Ce qu’il faut savoir sur la Louisiane, c’est qu’elle s’appuie sur le contact, sinon le choc de deux cultures. «Autrefois parlée par 85 % de la population, la langue française est en voie de connaître le sort du gaélique en Irlande. En 2000, seulement 12 % des gens de chez nous parlaient français. Tous ont plus de 65 ans… Dans mon village, il n’y a plus que trois bilingues: mon voisin, son cousin et moi.»

L’auteur de Travailler, c’est trop dur et de L’arbre est dans ses feuilles est connu au Québec depuis qu’il a obtenu de nombreux succès populaires. Établi à Montréal de 1976 à 1981, il est ensuite retourné en Louisiane à l’âge de 31 ans pour entamer une carrière en anglais, sans toutefois délaisser le Québec. Le Congrès mondial acadien, en 1994, lui fait réaliser la richesse de ses origines – Zachary Richard est un descendant direct d’un couple déporté en 1755, durant le Grand Dérangement – et il ne tarde pas à intégrer la culture acadienne dans ses compositions. Le résultat est un de ses disques les plus réussis tant du point de vue de la critique que de celui du public (couronné d’un prix «double platine»): Cap enragé.

Pas de sel sur les z’haricots

Considéré ici comme un chanteur francophone, Zachary Richard est plutôt présenté chez nos voisins du Sud comme un artiste «zarico», du nom des pauvres qui avaient du mal à «mettre du sel sur leurs z’haricots». Mais puisqu’il est compositeur, les organismes de défense de la culture bayou ne le reconnaissent pas comme un chanteur folklorique. «La vérité, c’est que je suis une éponge qui a absorbé des influences diverses.»

En effet, ce ne sont pas les influences musicales qui manquent en Louisiane, ce pays fondé le jour du carnaval de 1699 par Pierre Lemoyne d’Iberville. La culture créole s’y retrouve, et c’est là que sont nés des styles musicaux majeurs.

Arrivés «les mains vides mais la mémoire pleine de chants», les premiers immigrants intégreront plusieurs traditions. On utilise depuis longtemps une vaste gamme d’instruments de percussion, mais on accueillera à bras ouverts tout ce qui produit des sons, du violon au saxophone. Après la guerre, des Européens introduiront l’accordéon diatonique. Un instrument majeur, apprécié des pauvres, car il fonctionnait à merveille même lorsque plusieurs notes étaient brisées.

Ce pays a connu l’esclavage et la ségrégation, mais il a aussi été le berceau du jazz, du blues et du country. Et les musiciens d’expression française y ont été pour beaucoup, de Fats (Antoine) Domino à Clifton Chénier. «Comme vous le savez, le mot "jazz" vient du mot français "jaser"», a précisé le conférencier.

Ben non, tout le monde ne le savait pas…

Perdre sa langue, c’est perdre sa culture

Zachary Richard a confié à Forum qu’il devait à ses grands-parents l’attachement à la langue de la minorité. «Mon grand-père Boudreault était un excellent conteur. Je passais mes journées à l’écouter me parler de son enfance et de sa jeunesse. Comme il ne parlait pas anglais, il fallait bien que j’apprenne le français…»

Paradoxalement, la mauvaise santé du français au pays de George W. Bush se double d’une excellente survie de la musique. On peut même parler de renaissance puisque les musiciens cajuns sont très populaires partout en Amérique. «La musique va bien. La culture aussi. Mais si l’on perd notre langue, que restera-t-il?»

Au terme de deux heures de causerie, Zachary Richard a donné quelques exemples de la tradition musicale louisianaise. «Comme disait ma grand-mère: "Ferme ta yeule, pis chante!"»

Mathieu-Robert Sauvé



 
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