Édition du 3 novembre 2003 / volume 38, numéro 10
 
  Tu ne plagieras point!
Le plagiat en milieu universitaire: un phénomène préoccupant.

Marie-José Rivest

«Tout plagiat, copiage ou fraude, ou toute tentative de commettre ces actes ou toute participation à ces actes […] constitue une infraction au sens du présent règlement et est passible de sanctions disciplinaires», dit le Règlement pédagogique cadre de l’UdeM. Chaque année, pourtant, des dizaines d’étudiants sont pris en défaut pour avoir plagié. Une partie ou la totalité du travail ou de l’examen qu’ils ont remis à leur professeur a donc été "empruntée" à d’autres auteurs (ou encore à eux-mêmes dans le cas de l’autoplagiat) sans mention de la source. Mais, enfer et damnation, le professeur s’en est aperçu…

Quelques exemples survenus l’an dernier: un étudiant remet un travail dont sept pages sont copiées intégralement d’un mémoire trouvé dans Internet; une étudiante se présente à un examen avec des papillons adhésifs (Post-it) dans son étui à crayons; deux étudiants remettent un travail dont plusieurs paragraphes proviennent de sites Internet sans références citées; un étudiant rend un travail presque identique à celui d’un étudiant du trimestre précédent; au cours d’une pause, un étudiant profite de l’absence du professeur pour copier le contenu de son ordinateur.

Dans la plupart des cas, les étudiants pris en flagrant délit reçoivent un gros zéro ou un F et l’affaire se termine là. Mais les récidivistes risquent davantage: le renvoi pur et simple de l’Université ou même, dans certains cas, des entraves à l’exercice de leur profession.

Officiellement, selon le Secrétariat général de l’Université de Montréal, cinq cas de plagiat ont été rapportés entre 1997 et 2002. En réalité, ce nombre est bien en deçà de la réalité. Combien de cas se sont-ils produits? Impossible de le savoir, car les zéros, les E ou les F attribués pour avoir contrevenu au règlement sur le plagiat ne sont pas comptabilisés par une autorité centrale.

Des logiciels de reconnaissance du plagiat dans Internet

Les professeurs d’une trentaine d’universités américaines et canadiennes, dont l’Université de Toronto, sont incités à envoyer les textes suspects à un site américain réputé pour retrouver la source des textes plagiés. Créé par des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley en 1996, le site Turnitin.com se targue de pouvoir retracer des passages issus de plus de deux milliards de pages auxquelles s’ajoutent quelque 30 millions de pages par jour, des millions de publications périodiques et des dizaines de milliers de publications électroniques. Présenté comme l’outil «le plus utilisé et le plus fiable du monde pour les professeurs aux prises avec le plagiat dans Internet», ce site compterait actuellement près de cinq millions d’utilisateurs dans 51 pays.

Convivial, rapide et efficace, le logiciel présente le pourcentage de similitudes entre le texte soumis et celui qui est mis au jour par la base de données. Plus le pourcentage est élevé, plus le risque de plagiat est grand. L’une de ses originalités est de pouvoir comparer entre eux des travaux d’étudiants d’années antérieures.

On peut voir, à droite, le texte soumis à l’examen et, à gauche, le texte plagié. Les passages copiés sont soulignés.

On peut consulter le site à l’adresse www.plagiarism.org/ .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Seulement à la Faculté de droit, le vice-doyen Ghislain Massé dit que trois ou quatre étudiants se font prendre chaque année. «Et plusieurs s’en tirent, faute de preuves», reconnaît-il. L’ombudsman de l’Université, Marie-José Rivest, reçoit régulièrement des étudiants qui s’estiment injustement traités par le Règlement disciplinaire sur le plagiat ou la fraude concernant les étudiants. «De 15 à 20 étudiants par année environ consultent l’ombudsman pour un sujet lié au plagiat, estime-t-elle. Surtout en période d’examens ou au moment de l’affichage des notes.»

Mais elle admet elle aussi que ce chiffre n’est pas représentatif de l’importance du phénomène. Ce ne pourrait être que la pointe de l’iceberg.

À HEC Montréal, en 2002, plus de 45 étudiants ont été impliqués dans 26 cas de fraude. À l’école de gestion, on a décidé de prendre le taureau par les cornes et de lancer une campagne de sensibilisation au plagiat et à la fraude. Depuis le 6 octobre, d’immenses affiches sont placardées à différents endroits de l’immeuble principal et du pavillon Decelles, et des dépliants ont été distribués. Le slogan dit: «Copier, c’est plagier; plagier, c’est frauder.»

Suit une description des trois principaux visages du plagiat: la reproduction de documents sans mention de la source, l’emploi de matériel non autorisé pendant un examen et l’utilisation d’un travail par une autre personne.

Mettant l’accent sur «l’intégrité, une valeur fondamentale à HEC Montréal», le fascicule précise qu’«il ne faut pas sous-estimer les conséquences du plagiat. Il s’agit d’un acte frauduleux et passible de sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion de l’école». Il suggère en outre aux étudiants d’être vigilants au moment de travailler en équipe. Car si un étudiant fraude, c’est toute l’équipe qui pourrait en payer le prix.

Daniel Racette

«Cette campagne vise deux objectifs, explique Daniel Racette, directeur des programmes à HEC Montréal. D’abord sensibiliser les étudiants et les professeurs, qui ont un devoir de vigilance, ensuite valoriser l’intégrité dans notre école.»

Craint-il que cette de campagne nuise à son établissement en véhiculant l’idée que HEC Montréal est aux prises avec un problème de plagiat? «Je m’attends à l’effet inverse, répond-il du tac au tac. Les gens vont comprendre que nous prenons nos responsabilités.»

Dans le grand public, intégrité et finance ne sont pas exactement synonymes, déplore M. Racette, lui-même spécialiste des politiques monétaires. Il reconnaît que l’éthique n’est pas toujours la première vertu des entrepreneurs, habitués à prendre des risques. De plus, le milieu des affaires a beaucoup souffert des scandales Enron et Worldcom ces dernières années.

Y a-t-il une recrudescence du plagiat aujourd’hui? «Possiblement, répond le pédagogue. En tout cas, les moyens techniques mis à la disposition des étudiants, et même encouragés par les professeurs, peuvent les amener à télécharger des documents et à les intégrer dans leurs travaux sans se rendre compte qu’ils plagient.»

Plaider l’innocence suffit-il à se disculper? Citant un rapport récent de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, M. Racette mentionne que de nombreux étudiants ont de sérieuses lacunes quant aux ressources documentaires sur le Web et ailleurs. «Du temps des études classiques, les étudiants rédigeaient deux ou trois dissertations par semaine. Ils savaient comment citer des propos rapportés dans un texte. Aujourd’hui, c’est différent: plusieurs ignorent qu’ils plagient quand ils procèdent à un «copier-coller». Mais cela n’est pas une raison: nul n’est censé ignorer la loi…»

Un règlement à revoir

Jacques Frémont

Si M. Racette se dit satisfait du règlement en place à HEC Montréal, Jacques Frémont, doyen de la Faculté de droit, ne peut en dire autant de celui de l’Université de Montréal. «Le règlement actuel ne convient pas, estime-t-il. Il prévoit des sanctions beaucoup trop sévères et la procédure est trop lourde; il passe donc à côté de l’objectif.»

Cela peut sembler paradoxal, mais les lourdes sanctions peuvent desservir la cause. Le doyen aimerait laisser la liberté à un professeur de choisir la punition: une réprimande ou un C. Le fait de faire échouer un étudiant est certainement justifié s’il a copié des pages entières. Mais s’il a omis des guillemets sur trois paragraphes, mérite-t-il un échec qui l’accompagnera sur tous ses relevés? De plus, la procédure d’appel, qui a parfois des airs de tribunal d’inquisition, indispose fortement le doyen. «Je me demande si le remède ne tuera pas le cheval…»

Au cours des dernières années, Mme Rivest a beaucoup réfléchi sur le règlement relatif au plagiat et elle lui reproche aussi plusieurs choses. «Ce qui me dérange le plus dans ce règlement, c’est qu’il est possible de sanctionner un étudiant sans avoir recueilli sa version des faits. Vous imaginez la réaction de l’étudiant qui s’aperçoit en plein été sur le site Web du Guichet étudiant qu’il a un échec sans en comprendre la cause? Bien sûr, il sera éventuellement informé par lettre qu’il a été puni pour plagiat et qu’il peut être entendu par son conseil de faculté s’il le demande, mais une sanction lui a déjà été infligée avec les conséquences qui en découlent, telles que l’exclusion du programme, un retard dans la poursuite de ses études ou dans l’obtention de son diplôme. Une telle procédure est inacceptable, même si la culpabilité de l’étudiant est éventuellement confirmée.»

Le rapport annuel 2000-2001 de l’ombudsman comporte d’ailleurs une recommandation visant à corriger cette situation. Il suggère aussi la prise en charge du processus par une autorité administrative qui recueille les versions des faits de l’enseignant et de l’étudiant, la mise en place de délais raisonnables pour les différentes étapes du processus, un plus grand éventail des sanctions possibles et une procédure d’appel à un seul pallier.

«Mon client n’a pas plagié!»

En 2001, trois étudiants de la Faculté de droit soupçonnés de plagiat se présentent devant le conseil de faculté… accompagnés de leur avocat. De l’aveu même du doyen, Jacques Frémont, la confrontation entre les porte-parole de la Faculté et les représentants légaux des étudiants a été difficile. «Et pourtant, nous avons l’habitude des interactions avec des avocats, ajoute-t-il. Je me demande comment cela se serait déroulé dans une autre faculté.»

Selon diverses sources, il n’est pas rare de voir des étudiants des cycles supérieurs engager un avocat pour les représenter au conseil de faculté afin de faire valoir leur innocence. C’est que l’enjeu est majeur: la trace de la fraude peut subsister jusque sur le marché du travail. Un étudiant qui a triché sera refusé au barreau du Québec, par exemple, et ne pourra exercer le métier d’avocat.

Le règlement du contentieux entre les trois étudiants dont l’identité n’a pas été révélée et la Faculté s’est étendu sur plusieurs séances. L’histoire ne précise pas le total des honoraires, mais leur démarche n’a pas été vaine. Ils ont été blanchis. 

À la suite des recommandations de l’ombudsman, l’Assemblée universitaire a, au printemps 2003, demandé au Comité des règlements de se pencher sur celles-ci. José Woerling, président de ce comité, prévoit un rapport pour le printemps prochain. «Nous avons été saisis de la question et nous l’abordons sous trois angles de réflexion: la définition des infractions, les sanctions et la procédure.»

M. Woerling précise qu’en plus des consultations internes son comité doit étudier les politiques des autres universités dans le domaine et leurs façons de lutter contre le plagiat. Mais les universités francophones font face à un problème technique majeur: les logiciels de reconnaissance du plagiat si utiles dans les universités de langue anglaise, n’existent pas en français. Comment retrouver la source d’un texte copié sur un site Web mais traduit?

«La priorité, c’est la sensibilisation, conclut le doyen Frémont. Il faut aller dans le sens de la culture de l’intégrité.»

Mathieu-Robert Sauvé

Pour en savoir plus:  www.hec.ca/plagiat

Le règlement sur le plagiat : www.secgen.umontreal.ca/pdf/reglem/francais/sec30/ens303.pdf



 
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