Édition du 10 novembre 2003 / volume 38, numéro 10
 
  Le diable au corps
Exorcisme: l’historienne Aurélie Goudal porte un regard anthropologique sur cette pratique.

En plus de ses études, Aurélie Goudal dirige la revue des cycles supérieurs Dire, qui fait paraître ses jours-ci son numéro d’automne.

Depuis Rosemary’s Baby, de Roman Polanski, en 1968, et surtout L’exorciste, de William Friedkin, en 1973, les scénarios de possédés du démon se succèdent à Hollywood. Mais les rituels destinés à chasser le diable du corps ou à conjurer le mauvais sort sont parmi les pratiques les plus anciennes et les plus répandues. Dans son doctorat en histoire, Aurélie Goudal a choisi d’analyser des récits d’exorcisme de l’époque byzantine (du quatrième au septième siècle) et de les mettre en rapport avec les récits modernes.

«Cela peut paraître surprenant, mais il y a encore des exorcismes de nos jours. Dans son livre American Exorcism, l’auteur Michael Cuneo affirme avoir assisté lui-même à une cinquantaine de cérémonies au cours de sa vie; en 1999, il s’en serait déroulé six officielles aux États-Unis», mentionne l’étudiante française qui mène ses travaux en cotutelle avec la Sorbonne. Elle ajoute que c’est un exposé de l’ethnographe Jeanne Favret-Saada sur la sorcellerie et les croyances populaires en Vendée dans les années 70 qui lui a donné l’idée de ce sujet de recherche.

De nos jours, à peine deux pour cent des cas rapportés de possession s’avèrent fondés selon l’Église et nécessitent l’intervention d’un prêtre. Mais en 1999, le Vatican a réactualisé le rituel qui consiste à chasser le démon avec des prières, l’imposition des mains et l’aspersion d’eau bénite. Le 6 septembre 2000, Jean-Paul II aurait lui-même exorcisé une jeune fille de 15 ans «possédée depuis trois ans». C’était la troisième fois qu’il procédait à ce rituel depuis qu’il est pape.

De l’Antiquité au 21e siècle

Depuis la fondation de Constantinople (anciennement Byzance) par Constantin I le Grand en 330, l’image de Satan a considérablement changé. «Autrefois, explique Mme Goudal dans un texte qu’elle a fait paraître dans la revue Dire (dont elle est rédactrice en chef), le mot daimôn était moins associé au mal: il s’agissait, dans le cas de Socrate, d’une entité supérieure qui l’aidait à accomplir les bons choix. Ainsi, les hommes d’une certaine condition étaient aidés par une entité.»

Si l’Ancien Testament ne mentionne qu’un seul cas de possession, le christianisme au fur et à mesure de son évolution fera en sorte que le concept de démon comme force du mal soit utilisé pour décrire les mauvais penchants de la nature humaine. Le terme daimôn sera de plus en plus perçu comme négatif, ainsi que les cas de possession et d’exorcisme.

Longtemps, les rituels destinés à chasser le mal des corps sont demeurés plutôt «sages». Certains moines reconnus pour leur vie d’ascètes pouvaient par exemple exorciser des impurs par simple contact tactile ou à l’occasion d’un entretien. Dans l’Antiquité, les temples étaient des endroits reconnus pour porter secours aux âmes en peine. Des pèlerins s’y réfugiaient pour obtenir une guérison.

Les choses se sont corsées par la suite. «Dans un récit de la vie de saint Syméon le Jeune, on raconte qu’un homme considéré comme violent avait été pendu par les pieds jusqu’à ce que le démon s’en échappe», rapporte Aurélie Goudal.

Les récits historiques mentionnent aussi que de simples marginaux ont fait les frais d’exorcismes un peu expédiés. Les épileptiques, notamment, ont été longtemps pris pour des possédés.

Dans sa thèse, Aurélie Goudal analyse une quarantaine de textes hagiographiques datant de la période byzantine. Ces documents de longueur variable (de 20 à 200 pages) sont en grec ou traduits. La connaissance du grec ancien a aidé l’étudiante à plonger dans les textes originaux, mais elle a consulté aussi les versions traduites. Pourquoi ces textes? Parce qu’ils témoignent à merveille des croyances et mentalités de l’époque, tout en étant suffisamment descriptifs, répond la doctorante.

Force surhumaine et multilinguisme

Le rituel de l’exorcisme est demeuré peu commun jusqu’au 17e siècle. «Sa codification en 1614 marque un moment clé», déclare Aurélie Goudal. Encore aujourd’hui, les prêtres reçoivent une formation pour le pratiquer. Ils doivent notamment réciter une prière composée par Léon XIII et qui dit: «Nous t’exorcisons, esprit immonde, qui que tu sois, puissance satanique, invasion de l’ennemi infernal, légion, réunion ou secte diabolique, au nom et par la vertu de Jésus-Christ […]»

Selon le Vatican, il existe une liste de symptômes qui aident à reconnaître les cas de possession: le possédé peut notamment parler plusieurs langues, disposer d’une force surnaturelle ou manifester une aversion pour le nom de Dieu. Mais aujourd’hui, on doit impérativement obtenir l’avis d’un médecin afin d’éviter les exorcismes de personnes simplement en état de délire...

Comment expliquer la survie d’une pratique aussi archaïque? «Je crois, répond Mme Goudal, que cela témoigne du besoin d’expliquer des souffrances humaines trop grandes par des raisons métaphysiques. L’existence de ce phénomène dans presque toutes les religions en est la démonstration: la science n’a pas réponse à tout, donc on s’en remet aux sciences occultes, au spiritisme, aux esprits du mal.»

Mathieu-Robert Sauvé



 
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