Édition du 10 novembre 2003 / volume 38, numéro 10
 
  Les mots du sport
Le Collège de sociocritique se penche sur les manières dont on parle du sport.

Benoît Melançon

Le sport se retrouve parfois là où l’on ne l’attend pas. Tout comme les spécialistes des études littéraires, si l’on en juge par le colloque «Des mots et des muscles», qui s’est tenu la semaine dernière à l’Université et qui portait sur les discours et représentations des pratiques sportives.

Pour dire les choses autrement, on a cherché à savoir comment on parle du sport, non seulement dans les œuvres littéraires, mais aussi dans les discours non littéraires. Plus précisément encore: comment a-t-on «mythologisé» Maurice Richard dans certains écrits populaires? Comment Roland Barthes présente-t-il le Tour de France dans un film d’Hubert Aquin du début des années 60? De quelle manière parle-t-on des femmes dans le sport? Pourquoi le sport est-il utilisé comme métaphore pour représenter un système concentrationnaire, entre autres chez Georges Pérec? Quelle signification littéraire peut-on voir dans le ralenti?

Sujets divers, surprenants, inhabituels, insistent les organisateurs du colloque, tous issus du Collège de sociocritique de Montréal, un groupe de chercheurs qui tentent de «penser la littérature dans l’ensemble de ses relations au monde». Forts de cette conviction selon laquelle les textes littéraires ne sont indifférents à rien de ce qui fait la vie sociale, ils se sont notamment penchés, ces dernières années, sur les rapports entre le discours économique et l’imaginaire social (ils viennent de lancer les actes d’un colloque qui a porté sur ce thème).

Leur aventure dans le merveilleux monde du sport ne les a pas déçus. Yann Hamel, étudiant au doctorat au Département d’études françaises, a non seulement présenté une communication à ce colloque, mais il a aussi participé à son organisation: «Lorsque nous avons imaginé le colloque, nous ne nous attendions pas à y parler de féminisme, de Nijinski, de Godard, de Musil ou de rock alternatif». Le sport occupe «véritablement une place centrale dans la culture contemporaine globale, ce que démontre la diversité des objets étudiés», ajoute-t-il

Le mythe de Maurice Richard fait l'objet d'une étude de Benoît Melançon, qui a analysé ce qu'on a dit des yeux du Rocket.Le professeur s'est aussi penché sur le modèle de ténacité qu'on a fait du hockeyeur pour inspirer les enfants.

Maurice Richard

Benoît Melançon, du Département d’études françaises, parle avec passion de la manière dont on a raconté Maurice Richard aux enfants. L’adaptation pour la jeunesse du mythe du hockeyeur a pris plusieurs formes selon les époques: dans les années 50, on vendait des vêtements – pyjamas, salopettes, blousons, etc. – à son effigie. Plus tard, au tournant des années 80, il a fait l’objet de «livres édifiants» vantant la ténacité. Il se retrouve alors dans une collection de livres en compagnie de Prix Nobel et de figures telles que… Confucius.

«À d’autres endroits, on dresse des parallèles entre le hockeyeur et John Kennedy, des papes, des artistes.» Benoît Melançon note que, lorsqu’on raconte Maurice Richard aux jeunes, on prend soin de gommer son caractère violent. «On affirme par exemple que ce n’est jamais lui qui déclenchait les bagarres.»

À la question «pourquoi le hockeyeur est-il devenu un tel mythe?», Benoît Melançon dit ne pas avoir de réponse définitive. Tout juste une théorie. D’abord, une raison conjoncturelle: à l’époque, le Rocket comble un vide de vedette sportive à Montréal. Ensuite, il est pendant longtemps une figure muette. Puisqu’il ne parlait pas, on a donc pu lui faire dire toutes sortes de choses. Or un mythe, c’est précisément cela, dit le chercheur, «un objet fort qu’on peut investir de sens divers». Peu à peu, Maurice Richard prendra la parole, «comme la société québécoise en quelque sorte», souligne Benoît Melançon.

Mais il demeurera toujours une figure évocatrice, même auprès des jeunes qui ne l’ont jamais vu jouer. À preuve, peu avant sa mort, le personnage figure dans de grandes campagnes de publicité, entre autres pour l’Année internationale de la famille, où il incarne le grand-père idéal. Benoît Melançon prépare un livre sur le Rocket dont le titre, Les yeux de Maurice Richard, nous révèle une des sources du mythe: le regard de feu de l’athlète.

Barthes et Aquin

Gilles Dupuis, aussi du Département d’études françaises, s’est pour sa part penché sur la rencontre entre les écrivains Roland Barthes et Hubert Aquin, qui ont collaboré, au début des années 60, à la production d’un documentaire de l’Office national du film intitulé Le sport et les hommes.

Hubert Aquin entretenait une passion pour plusieurs sports: la course automobile – il avait même voulu organiser un Grand Prix à Montréal –, le hockey et le football américain. Quant à Roland Barthes, il avait, dans son célèbre essai Mythologies, démythifié deux sports: le Tour de France et le catch (la lutte). Hubert Aquin demanda à Roland Barthes de collaborer à la narration de son documentaire. Selon Gilles Dupuis, le texte que livra Barthes est inédit. Il ne se trouve nulle part dans les recueils d’œuvres du célèbre auteur.

Après la production du film, les analyses des deux auteurs divergeront, note le chercheur. Hubert Aquin devint de plus en plus élogieux à l’égard du sport-spectacle alors que Roland Barthes développera une critique toujours plus dure de l’idéologie du sport. Gilles Dupuis, pourtant, note que Barthes sembla céder, dans le film d’Aquin, à une sorte d’idéologie universaliste du sport.

«Le critique du mythe semble tomber lui-même dans le panneau du mythe», soutient Gilles Dupuis, notamment dans la définition du sport qu’il propose. Qu’est-ce que le sport? s’interroge Barthes. «Le sport répond par une autre question: qui est le meilleur? Mais cette question des anciens duels, le sport lui donne un sens nouveau, car l’excellence de l’homme ne se cherche ici que par rapport aux choses», répond-il. Pour Gilles Dupuis, dans ce film, on pourrait donc jouer «Barthes contre Barthes», autrement dit, se servir des analyses de l’écrivain pour critiquer sa narration.

Colloque couru

Enfin, pour Benoît Melançon, organiser un colloque sur le sport à l’Université présentait un certain nombre de défis. D’une part, on risquait de se montrer «atrocement sérieux» en adoptant par exemple une position dénonciatrice du type «sport égale opium du peuple». Mais l’excès inverse menaçait aussi: en «prétextant que l’objet est finalement peu important, on aurait pu tomber dans une désinvolture cool.» Benoît Melançon estime que «Des mots et des muscles» a réussi à éviter ces deux écueils. Des actes de ce colloque sont en préparation. Pour de plus amples renseignements: www.mapageweb.umontreal.ca/melancon/college.html.

Antoine Robitaille



 
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